Population et temps de guerre

La période qui débute avec la Seconde Guerre mondiale permet d’observer dans la production des séries d’archives et dans les titres des classements une importance plus grande accordée à la surveillance des populations. La Seconde Guerre mondiale comme ensuite le début des « événements d’Algérie » montrent le souci croissant des autorités publiques pour la surveillance des populations européennes vivant en Algérie et de la main-d’œuvre étrangère. Les enquêtes de police administrative sont nombreuses. La surveillance des « étrangers » est renforcée, comme en témoigne l’attention portée aux réfugiés républicains espagnolsAndré Bachoud et Bernard Sicot (dir.), « Sables d’exil. Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb (1939-1945) », Exils et migrations ibériques au XXe siècle, 2009, vol. 3, no 3. Kamel Kateb, « Les immigrés espagnols dans les camps en Algérie (1939-1941) », Annales de Démographie Historique, 2007, n° 113, no 1, p. 155‑175. en particulier par la préfecture d’Alger (sous-série 1F, police).

La surveillance des fonctionnaires s’amplifie : des enquêtes sur les candidats à la fonction publique, sur les personnels déjà en place et les recrutements, sont menées par les cabinets des préfets. La question du maintien de l’ordre se pose de manière cruciale. L’organisation ou réorganisation de la police ou de la gendarmerie, des renseignements généraux ou encore de la mission affectée aux Sections Administratives Spécialisées est surveillée de près. Une attention spécifique est portée à la surveillance des organisations politiques ou aux mouvements non politiques. Cette mission occupe au plus près du local les préfectures d’Algérie, en particulier à Alger (91/3F aux ANOM), les renseignements généraux, le ministère chargé des Affaires algériennes (81F) mais aussi la police générale à Paris (F7 / ANP) pour les groupes politiques divers et, spécifiquement, l’Organisation Armée Secrète (OAS).

La période de la guerre est aussi celle qui redéfinit pour les Français d’Algérie les contours de la citoyenneté. Le décret Crémieux (24 octobre 1870), qui imposait la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie et avait toujours été un objet de controversesFlorence Renucci, « Le débat sur le statut politique des israélites en Algérie et ses acteurs (1870-1943) », Paris, IHTP, 2010 ⟨halshs-00599296⟩, est aboli par le gouvernement de Vichy, le 7 octobre 1940. Dans les années 1940-1944, l’application des mesures contre les juifs est du ressort à la fois des préfectures et du Commissariat général aux questions juives (CGQJ), administration instituée par le régime pétainiste. Les applications de ce dernier service sont multiples puisqu’il gère le recensement des juifs et les questions relatives au statut des juifs, en particulier avec les demandes de maintien dans les professions interdites ou dans le statut politique de citoyen français ; il organise aussi au plus près la spoliation des « biens juifs » dans le cadre de la politique d’aryanisation économique.

Si les grandes préfectures d’Algérie ont tous créé un CGQJ, seules les archives de celui de la Préfecture de Constantine (93/3 / G1-30) ont été conservées. Le Service des questions juives et des sociétés secrètes est créé en tant que tel, à la préfecture de Constantine, au début de l’année 1942Les cartons 31 à 38 concernent les sociétés secrètes.. Son fonds est riche d’enseignements sur le fonctionnement de ce type de service, une autre sous-série permet une recherche sur les personnels affectésLaurent Joly, L’antisémitisme de bureau: enquête au cœur de la préfecture de Police de Paris et du commissariat général aux Questions juives, 1940-1944, Paris, France, Grasset, 2011 ; Laurent Joly, « Postuler un emploi auprès du commissariat général aux Questions juives (1941-1944). Antisémitisme d’État et crise de recrutement dans la fonction publique des années noires », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2016, vol. 63, no 3, p. 163‑185. (sous-série 30G du GGA). Le fonds du CGQJ de Constantine contient aussi beaucoup de dossiers individuels des juifs du ConstantinoisComme pour la sous-série AJ38 (Commissariat général aux questions juives) aux ANP, les dossiers peuvent contenir des renseignements sur les biens confiés aux administrateurs provisoires, la vente de ces biens et éventuellement les procédures de restitution des biens à la faveur des Ordonnances de 1945. Jean Laloum, « En vue d’éliminer toute influence juive dans l’économie algérienne... », Les Cahiers du judaïsme, 2009, no 27, p. 104‑120..

Enfin, la question de la Guerre d’Algérie n’est incluse dans ce guide que pour ce qui touche directement aux populations européennes, en particulier française. C’est le cas pour la surveillance des populations et l’encadrement des fonctionnaires. C’est aussi le cas pour les troupes engagées en Algérie.

Le départ en guerre d’Algérie, dans un conflit non reconnu officiellement, a été une expérience singulière pour près de 2 000 000 de soldats, dont 1 200 000 appelés du contingent et 200 000 appelés réservistesJean-Charles Jauffret, La guerre d’Algérie. Les combattants français et leur mémoire, Paris, Odile Jacob, 2016. Raphaëlle Branche, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?, Paris, La Découverte, 2020.. Les archives militaires sont ainsi les premières concernées pour étudier ces hommes partis se battre en Algérie.

Les archives du Centre des archives du personnel militaire (CAPM) de PauVoir en particulier les pages précisément dédiées aux archives de ce centre dans L. Heyberger, Les corps en colonie, faim, maladies, guerre et crises démographiques en Algérie au XIXe siècle : approche anthropométrique, op. cit. se composent d’archives individuelles (archives matriculaires, pièces annexes des appelés et engagés, fichiers alphabétiques, dossiers de carrière), dont celles qui ont été produites par le service militaire, et de fonds collectifs (archives de gestion administrative et médicale des personnels dans les unités et dans les services communes depuis 1936) et en particulier les registres d’infirmerie et d’hôpitaux, les registres d’incorporation militaire (RMI à partir de 1920).

Parmi les corps spécifiques, on retrouve une partie du contingent appelé dans les Sections administratives spécialisées dont les ANOM conservent les archives (sous-série SAS, Registres nominatifs des affectations du personnel militaire). Les SAS doivent remédier à la couverture insuffisante du territoire par l’administration civile et aux carences de l’action sanitaire et sociale pour ramener les populations sous l’autorité de l’État français. Ces sections spécialisées ne se limitent pas aux affaires civiles puisqu’elles doivent aussi être des informateurs politiques et participer aux arrestations et aux interrogatoires.

La Guerre d’Algérie terminée et l’indépendance de l’Algérie actée aux Accords d’Evian (18 mars 1962), une gigantesque « migration de masse » va concerner le départ de l’Algérie vers l’Europe et la France principalement. Elle concerne près d’un million de personnes. La plupart ont acquis depuis longtemps la nationalité française, certains depuis plus de trois générations et la langue, l’école, le service militaire pour les hommes, les unions mixtes et les deux conflits mondiaux auxquels ces personnes ou leurs ancêtres ont participé, ont contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance à la nation française. Rares sont effectivement les Français d’Algérie qui choisissent une autre destination que la France.

La prise en charge par l’État de ces rapatriés a été importanteY. Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), op. cit. Yann Scioldo-Zurcher, « L’indemnisation des biens perdus des rapatriés d’Algérie : politique de retour ou innovation post-coloniale ? », Revue Européenne des Migrations Internationales, 2013, vol. 29, no 3, p. 77‑91. Sung Eun Choi, « Les anciens combattants musulmans dans la France postcoloniale. La politique d’intégration des harkis après 1962 », Les Temps Modernes, 2011, no 666, p. 120‑139.. La longue sous-série du ministère des Affaires étrangères (81F) en témoigne, tout comme les archives conservées à Pierrefitte ou à Fontainebleau au titre des différents ministères. L’importance des fonds concernant les rapatriés aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, étudié ici à titre d’exemple, montre l’ampleur de la mobilisation effective des administrations françaises. Enfin, la longue série de dossiers d’indemnisation disponibles dans le service du Fonds d’indemnisation des rapatriés d’Algérie, conservés par à l’ANIFOM (Agence nationale pour l’indemnisation des Français d’Outre-mer) atteste bien aussi de l’attention portée aux Français d’Algérie comme membres de la Nation.

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