M'Chaïda
M'Chaïda, 24 juin 1859
Me voici à M'Chaïda et je vais vous donner un récit succinct de mes tribulations.
Mercredi il y a huit jours, je descendis mes effets à l'oued Saboun au moyen de la vieille mule de Pineau et de la charrette à charbon. Le lendemain matin, les marins qui prennent des pierres à chaux au Filfila, arrivèrent et je chargeai mes choses sur leur barque, puis j'allai au Filfila avec mes deux chiens, prendre le cheval que j'avais prêté à un employé d’une compagnie de chênes-lièges.
Je me rendis à Philippeville, déposai tout chez Mr. Durand, et allai dans un hôtel garni pour servir de pâture aux punaises.
Vendredi et samedi se passèrent à courir, à acheter diverses choses et à faire mes adieux au pasteur. Dimanche, je fis charger mes effets sur des charrettes qui se rendaient à El-Kantour ; je laissai les chats en ville pour qu'on me les envoie par la diligence car ils auraient trop souffert en voyageant pendant deux jours et par la chaleur.
Lundi je partis d'assez bonne heure de Philippeville et couchai à El-Kantour ; le lendemain matin j'allais prévenir mes arabes à fin qu'ils m'amènent des mulets. Ils devaient venir à dix heures, mais selon leur louable habitude ils ne vinrent que vers deux heures, de sorte que je n'arrivai qu'à la nuit tombante avec mes derniers effets. L'un des ongafs, Ben Nas, m'apporta quelques œufs et un peu de beurre ; je fis des œufs à la coque et un peu de café puis je me couchai. L'autre ongaf, Achmed Ben Messaüd voulut absolument coucher avec moi pour qu'on ne me vole pas.
Le lendemain matin, je repartis pour le Filfila où j'avais laissé mon bétail ; j'emmenai un homme pour le conduire et, après une journée des plus fatigantes, nous arrivâmes au Dmel-Bès-Bès. J'y trouvai mon troupeau augmenté de deux petits veaux, fort gentils ; mais les pauvres petites bêtes nous donnèrent beaucoup de mal pour arriver à Jemmapes parce qu'elles ne voulaient pas marcher.
Je déjeunai chez Riekhan où je trouvai Messaüd notre ancien berger, avec sa jument ; je lui proposai de me porter mes deux veaux dans son tellis[1] à M'Chaïda, et il accepta.
Nous avions l'intention de coucher à El-Arrouch, mais la nuit nous prit en route et nous fûmes obligés de demander l'hospitalité à des arabes qui nous l'accordèrent volontiers (?) et nous firent un couscoussi excellent avec deux poules et du lait. Nous couchâmes à la belle étoile, je me couvris d'un sac et dormis parfaitement bien.
Le matin, nous partîmes de bonne heure et arrivâmes ici vers onze heures, tous extrêmement fatigués et affamés. Je fis une soupe aux œufs que mes arabes trouvèrent excellente, et du thé en guise de café, n'en ayant plus de moulu au grand chagrin de l'individu qui avait conduit les bœufs et qui, n'ayant jamais bu de thé, le trouva mauvais.
J'habite un très-grand gourbi ; celui de Coll est plus petit, mais ils sont tous trois composés de trois divisions, se trouvant sur une forte pente.
Je voudrais bien que Coll vienne car cela m'ennuie beaucoup de faire la cuisine.
Dimanche et lundi, c'est la grande fête des arabes ; je mangerai du couscoussi avec de la viande et des espèces de galettes avec du miel, assez bonnes.
M'Chaïda, 9 août 1859
J'ai un petit jardin renfermant : - le tout à venir – concombres, radis, persil, salade, quatre espèces de choux, carottes, navets et pommes de terre ; je l'arrose tous les soirs avec de l'eau qui se ramasse dans deux trous que j'ai creusés et qui servent en même temps d'abreuvoir aux veaux et aux chevaux.
Ici les constructions sont généralement fort simples et petites grâce au prix exorbitant du bois ; une planche en sapin de 0m30 de large et de 4m de long coûte quatre francs. Aussi emploierai-je le moins de bois possible et ne ferai-je en général pas beaucoup de constructions.
Les connaissances que j'ai de la langue et des mœurs arabes me sont d'un immense secours ; c'est grâce à elles que je dors en toute sécurité dans un gourbi isolé et ouvert de tous les côtés. Les arabes ici sont bien moins voleurs qu'au Filfila ; on ne m'a pas encore pris la valeur d'une épingle et des gamins qui ont gardé le gourbi n'ont pas touché au sucre, tandis que quelques jours avant mon départ du Dmel-Bès-Bès, on m'a volé ma faucille dans ma chambre, des pinces dans celle de Mr. Zill, et de la poudre dans la cartouchière du cheikh ; ce n'était certes pas un étranger mais probablement l'un des frères du cheikh.
Je vis en ce moment tout à fait à l'arabe ; j'ai acheté du blé que les femmes meulent et blutent ; puis elles m'en font du couscoussi au lait pour déjeuner et souper et du kessera avec lequel je bois du petit lait ; cela me revient en tout cas moins cher que d'acheter du pain à 7 sous le kilo.
M'Chaïda, 3 sept. 1859
Ce matin, à peine étais-je au travail, je vis un individu chasser chez moi et un arabe vint me dire qu'un roumi me demandait ; j'allais, fort mécontent d'être dérangé, voir qui c'était et il se trouva que c'était le lieutenant de vaisseau qui, étant de passage à Philippeville, venait voir sa propriété.
Le pays est bien triste en ce moment ; tout est sec, brûlé, et il n'y a pas comme au Filfila de l'ombre et de la verdure sous les chênes-lièges.
M'Chaïda, 1er oct. 1859
Il y avait un village arabe chez Mr. Durand : tous les arabes qui labouraient à M'Chaïda y demeuraient ; actuellement, il n'y en a plus qu'une moitié, les Beni Ferguen ; les Beni Toufout[2], ayant Achmed pour chef, ont loué les terres du lieutenant de vaisseau et sont venus y habiter. Cette chose a même donné lieu à des disputes entre les arabes des deux tribus et a manqué me mettre mal avec Mr. Durand ; d'un autre côté, elle m'a valu l'affection des Beni Toufout.
Voici ce qu'il en est. Mr. Durand loua ses terres à l'ongaf des Ferguènis ; moi je m'associai Achmed, non pas par esprit de contradiction, mais parce qu'il se trouva que la première fois lorsque je parlai de la construction des gourbis, je m'adressai à Achmed. De là, la rivalité entre les deux tribus qui déjà primitivement s'aimaient comme chien et chat.
Tous les jours, les Toufout venaient me tourmenter pour avoir les terres du lieutenant de vaisseau et, tout à coup, Mr. Durand envoie un ordre que dans quinze jours les Toufout devaient avoir quitté sa concession, en y laissant la moitié de la paille et leurs gourbis.
Quand je traduisis cette missive aux arabes, il y eut des clameurs et des imprécations de tous les côtés, on me supplia de m'occuper de l'affaire auprès du colonel. Heureusement, je reçus le lendemain matin une lettre de ce dernier qui me priait de venir en ville pour m'entendre avec la sœur du lieutenant de vaisseau au sujet de ses terres.
Je partis immédiatement et arrivai de nuit en ville ; le lendemain, j'allai voir le colonel et, à déjeuner, je lui exposai les griefs des Beni Toufout. Le colonel me dit que Mr. Durand n'avait pas le droit de prendre ni la paille, ni les maisons et que quinze jours ne suffisaient pas à ces gens pour emporter leurs affaires. J'allai ensuite voir Mr. Durand qui comprit parfaitement mes explications et me donna un ordre dans le sens de la décision du colonel.
Sur ce, grande joie chez les Toufout et clameurs dans le camp opposé qui comptait profiter des dépouilles de leurs ennemis.
Huit jours après, je dus retourner en ville pour terminer les affaires avec Mlle Serrier ; l'ongaf des Ferguènis alla avec moi et convainquit Mr. Durand qu'il avait eu raison la première fois. Je cherchai à lui faire comprendre que je ne voulais que la justice et, à moitié gagné à mon opinion, il me pria de venir avec lui chez le colonel le lendemain. Je le retrouvai très-convaincu que j'étais dans le tort et, dit-il, si la décision du colonel me semble injuste, j'écris au général et, si le général ne me donne pas raison, nous avons le ministre et en dernier ressort l'empereur. Voilà qui se complique, me dis-je ; mais après quelques explications du colonel (les mêmes que j'avais données la veille), Mr. Durand resta définitivement persuadé que moi, le colonel et les Toufout avaient raison et pria Mr. Lapasset de faire envoyer un ordre en ce sens. Tout cela m'a fait beaucoup de bien ici ; autrefois on se moquait d'Achmed en lui disant : ton ami est un pauvre diable qui ne peut rien ; maintenant on dit : le colonel est son ami !
M'Chaïda, 20 nov. 1859
Coll est arrivé mercredi avec un autre maçon pour construire ma maison avec laquelle j'ai bien du guignon[3]. A peine Coll fut-il ici qu'il eut un accès de fièvre chaude qui le fit délirer pendant deux heures et depuis il n'a pas pu travailler – premier malheur.
Ensuite, les outils qu’on n’avait pas pu charger sur la diligence et qui devaient arriver le lendemain, ne parurent pas. J'allai à Philippeville et voyageai pendant trois jours par la pluie pour apprendre que les outils, au lieu d'être déposés à El-Kantour, l'avaient été dans une maison sur la route – deuxième malheur.
Depuis il pleut tous les jours. Coll fut très-malade jeudi dernier de sorte que j'allai chercher le médecin de Smendou[4] ; j'aurais pu épargner les cinq francs que me coûta cette visite, car depuis cela va mieux, sans les sangsues ordonnées par le médecin.
Avant-hier, nous avions de la neige qui a duré douze heures ; toutes les montagnes environnantes étaient blanches comme au plus fort de l'hiver. L'envie m'a pris quelque fois de tout planter là et de me sauver au Filfila devant un bon feu de cheminée, mais cela en est resté à l'envie.
Je suis si affreusement logé depuis qu'il fait froid ; je ne vois pas clair et mes doigts sont raides.
M'Chaïda, 21 déc. 1859
J'avais eu l'intention de vous écrire pour Noël, mais j'avais si peu de choses édifiantes à raconter que j'ai préféré attendre de meilleurs temps. Or ceux-ci ont l'air de vouloir décidément nous arriver, et certes ce n'est pas trop tôt ; si donc je vous entretiens des mauvais jours, rappelez-vous qu'ils sont passés, et que par conséquent il ne faut plus s'en affliger.
Tout l'amour que vous me témoignez m'encourage beaucoup et m'aide à supporter les misères en quantité qui m'ont assailli dans ces derniers temps, et j'espère bien en triompher dussent-elles encore redoubler. J'ai de plus, outre l'intérêt qu'on me témoigne ici, pour m'encourager une santé que Dieu m'a laissée inébranlable. S'il continue à me l'accorder, je ne puis me plaindre et puis ces misères ne peuvent pas durer toujours. Mr. Dürr prêcha un jour à Philippeville sur le texte : Über ein Kleines[5], et il recommanda à son auditoire de prendre ces mots pour leur guide ; j'y pensai ce matin. Le temps s'était un peu éclairci ; j'allai travailler et faire labourer par mon khamès[6] un endroit où je veux faire mon jardin d'hiver. A peine étions-nous au travail voilà une affreuse bourrasque de pluie et de neige qui vient nous chasser ; voilà près d'un mois que nous avons un temps pareil. J'allai me fourrer au lit à fin de me réchauffer, car je n'ai guère de bois et le gourbi est sombre ; je me dis : über ein Kleines inch allah nous aurons le beau temps. Et en effet le temps se remit, j'ai pu travailler tout l'après-midi et le N.O. est bien nettoyé ; il n'y a que le Sidi Driss, une montagne de l'ouest d'où vient toujours la pluie, qui ait encore sa coiffure de nuages.
J'habite encore le gourbi et je suis seul en ce moment, les ouvriers sont allés en ville dimanche pour y toucher de l'argent qu'on ne leur paye jamais. Bien leur en prit, car lundi la pluie commença à tomber en fortes averses avec de rares et courts intervalles de soleil.
Jeudi il fit assez beau ; j'allai chercher du pain à El-Kantour. Dans la nuit je me réveillai et fus assez désagréablement surpris de trouver mon nez très-froid et mes moustaches mouillées par l'haleine qui s'y était condensée. Le lendemain matin, le froid était plus prononcé encore, mais il n'y avait pas de vent dans le gourbi, ce qui m'étonna, car au dehors il soufflait assez fort. Quand je me levai, je vis bien d'où cela provenait : mon gourbi était enterré dans la neige ; ce n'est qu'avec peine que je pus ouvrir la porte. Quand je sortis, je vis un spectacle que je n'avais pas eu depuis quatre ans : la campagne toute couverte de neige. Je donnai un peu d'orge aux chevaux et aux bourricots, en attendant que je puisse aller leur chercher de la paille, et je me recouchai.
Il neigea presque sans discontinuer toute la journée et la nuit du vendredi ; samedi après-midi, le vent du sud se leva et la neige commença à fondre un peu ; elle ne disparut que lundi après-midi chez nous et, sur les montagnes au sud de M'Chaïda, il y en a encore par-ci par-là.
Si je n'avais pas eu mes bêtes, j'aurais été moins malheureux par cette neige, mais je n'ai presque pas de fourrage et je tâcherai d'y suppléer un peu en leur donnant double ration d'orge.
C'est quand la neige commença à fondre que j'étais à plaindre car les ruisseaux et les cascades commencèrent à entrer dans mon gourbi avec une ardeur désolante ; heureusement, ils ne tombent plus que par gouttes actuellement.
J'espère que mes ouvriers reviendront sitôt que nous aurons du temps un peu stable et alors nous pourrons être sous toit au bout de huit jours.
Ma nouvelle maison ne sera certainement pas plus malsaine que le gourbi ; au moins, elle sera couverte et j'y mettrai un poêle de sorte qu'elle séchera bien vite. J'ai fait faire les portes à Philippeville et j'irai les prendre, ainsi que du bois pour la toiture, sitôt que Coll sera revenu. On fera la cuisine dans le poêle. Mlle Coll la fait actuellement au milieu du gourbi par terre dans une marmite suspendue à la faîtière. Notre nourriture est très-simple ; j'avais par hasard trouvé à acheter un sanglier qui a duré jusqu'au jour où les gens sont partis ; on faisait des soupes avec cette viande salée et séchée et des haricots, pois ou lentilles.
Je ne puis guère écrire dans la journée car il faut se mettre à la porte parce qu'il fait sombre dans le gourbi et alors j'ai froid ; le soir, au contraire, je me mets au lit, j'écris sur mes genoux ; une bougie suspendue à un fil de fer sous la planche au pain m'éclaire magnifiquement et si j'ai froid aux mains je puis les mettre un moment sous la couverture pour les réchauffer.
M'Chaïda, 16 fév. 1860
A présent, je suis sous toit et je possède même une table et un banc ; vous autres qui vous mettez à table sans donner une seule pensée à ce meuble, vous ne pouvez pas vous figurer avec quel plaisir moi, qui en ai été privé pendant neuf mois, je m'y suis assis, rien que pour m'y mettre. Mais aussi est-elle jolie, couverte d'une belle toile cirée et outre son mérite d'être table, d'exister, elle a celui d'être fabriquée avec la caisse qui renfermait toutes les belles et bonnes choses que vous m'avez envoyées.
J'ai été retardé dans mes plantations par un fort rhume dû à la trop grande sécheresse de mes murs ; cela vous paraîtra singulier car, ordinairement, c'est l'humidité qui donne des rhumes, mais je vais vous prouver que ce que je dis n'en est pas moins vrai.
Les murs de ma maison sont faits en pierres et mortier de terre ; cette terre, en se séchant, prend du retrait, par suite il se fait des vides dans le mur, qui laissent passer l'air ; or cet air venait frapper sur la tête de mon lit placé du côté ouest d'où venait le vent. Il eut été difficile de lui donner une autre place, la chambre étant encombrée d'outils, de sacs et de caisses. Enfin, avec la cause cessa l'effet : le mur ouest étant crépi, mon rhume s'est passé. Les arabes prétendent que je dois ma guérison à un marabout qu'ils ont amené dans ma concession malgré moi, car je n'aime pas les marabouts qui eux aussi n'aiment d'ordinaire pas les roumis.
Ma maison se compose de trois pièces : une mitoyenne de 3m/6 me sert de logement. La façade principale est tournée à l'est ; on entre par une porte s’ouvrant au dehors pour ne pas prendre de place au dedans – système assez vicieux que je ne recommencerais pas. En entrant, on trouve à sa droite un baril de vin et, au-dessus, sur un rayon, des miches de pain, le premier disparaîtra sitôt que les ouvriers seront partis, les autres seront peut-être remplacés pendant quelque temps par du kesserah. Un peu plus loin, au milieu du mur est un placard renfermant toutes sortes de provisions, verres, tasses, couverts, bocaux de quinine, flacon d'ammoniaque contre la piqûre des scorpions et des scolopendres, une fiole d'essence de térébenthine pour tuer des insectes ; mais il n'y en a pas ici. C'est étonnant combien la flore et la faune sont pauvres à M'Chaïda. Enfin, au bout de la pièce, toujours à droite se trouve mon lit, d'une dureté désespérante mais à laquelle je me suis fait ; au-dessus, il y a des rayons qui renferment mes livres et à leur bord j'ai suspendu très-pittoresquement les sacs contenant diverses semences.
Nous voici donc au mur ouest, où il n'y a qu'un rayon et un créneau pour tirer les chacals et autres voleurs qui viendraient voler ma vigne une fois qu'elle sera plantée et portera des fruits.
Au sud est un placard, puis vient un rayon avec toutes sortes d'ustensiles de cuisine, et enfin nous voici près de ma chère table qui prend jour par une croisée à ma gauche.
Au milieu de la chambre se trouve le poêle, à trois marmites, dont le tuyau s'en va dans une cheminée pratiquée dans le mur sud.
Il n'y a pas de plafond ; les murs ont deux mètres de haut et les pignons dans les murs sud et nord ont 1m30 en plus, le tout couvert en carton Ruols[7], assez peu recommandable, mais qui a cependant l'avantage de ne pas être emporté par le vent aussi facilement que les tuiles.
Au sud et au nord de cette pièce s'en trouvent deux autres chacune de deux mètres de large et de la même longueur que la précédente. Celle du nord sert d'écurie, celle du sud de magasin.
Samedi 15 – Nous avons de la neige depuis mardi gras et hier seulement elle a commencé à fondre sérieusement, aussi étais-je confiné dans la chambre tous ces jours. Coll et sa femme sont partis de sorte que les soins du ménage me sont de nouveau tombés à charge. Tant que j'ai du travail au dehors, cela ne me fait rien d'être seul, au contraire, mais quand on est enfermé du matin au soir dans sa chambre et n'a que soi pour toute compagnie, cela finit par devenir par trop monotone.
Mon khamès venait bien de temps en temps mais la société des arabes m'ennuie plus qu'elle ne me récrée. Ce qu'il me faudrait, ce serait quelqu'un d'instruit que je puisse visiter parfois : il y a bien Mr. Matte[8], un ancien capitaine de vaisseau qui a une concession de l'autre côté d'El-Kantour, à deux lieues à peu près de chez moi. Mais quand il fait beau temps, j'ai tellement de travail que je ne puis songer à faire des visites, et lorsqu'il fait mauvais, il faut encore rester à la maison.
M'Chaïda, 16 avril 1860
Les nouvelles quant à mon bétail ne sont pas des plus brillantes ; je l'avais mis à El-Arrouch pendant l'hiver et un beau bœuf vient de m'être volé. En outre j'ai perdu trois vaches et deux veaux.
Heureusement que mes récoltes ont bonne mine. L'endroit où j'ai planté les pommes de terre (qui poussent déjà) renferme beaucoup de fumier, parce qu'au-dessus se trouvaient des maisons d'arabes ; or, ceux-ci ont l'habitude de construire sur des pentes et de jeter le fumier devant le gourbi où il s'accumule (car jamais ils ne le transportent ailleurs pour fumer leurs champs) ; le bétail couche autour des gourbis dans des parcs ; une grande partie de l'engrais est entraîné par les pluies et fertilise ainsi les terres qui se trouvent immédiatement au-dessous.
Il y a beaucoup de chardons ici et ils ne peuvent être arrachés qu'avec des pioches ; je compte cependant peu à peu en venir à bout ; leurs racines séchées sont un excellent combustible et les tiges de leurs feuilles sont consommées par les arabes en guise de cardons. Les ânes, mulets et chameaux s'en nourrissent et, pour ces bêtes, ils sont précieux car ils viennent avant qu'il n'y ait de l'herbe.
Il est très-difficile d'avoir de la main d'œuvre arabe, les hommes ne se soucient pas de travailler ; les jeunes gens labourent et moissonnent et, quand ils n'ont pas de travail des champs, ils viennent bien vous en demander. Mais ils sont habitués à recevoir des Ponts et Chaussées 2 francs 50 et voudraient gagner le même prix à ne rien faire comme cela a lieu quand ils travaillent sur la route.
De plus, ils n'ont pas la patience de rester à un ouvrage pendant quelques semaines ; lorsqu'ils ont de quoi payer les dettes trop urgentes, d'acheter une chemise et pour cinq sous de savon, ils vous quittent de sorte qu'on se trouve souvent au plus fort du travail sans ouvrier. Quant aux gamins, il n’y faut pas songer ; ils gardent les bêtes ou passent leur temps en dolce farniente.
C'est prodigieux quelle patience un arabe a pour ne rien faire : accroupi sur un rocher, il peut passer une journée entière à regarder devant lui, et quand il est fatigué de cela il se couche à la même place et dort. Dès le matin, ils sortent de leurs gourbis et vont s’asseoir ainsi dans l'herbe toute mouillée de rosée, ou détrempée par la pluie : c'est inconvenant de rester à la maison et de causer avec sa femme !
Mr. Durand, qui fait construire en ce moment, a toutes les misères imaginables avec les arabes qui devaient lui porter le bois, le sable, les pierres ; autrefois, à l'entendre, ses arabes étaient tous des marabouts, aujourd'hui ce sont des canailles, et dans la bouche des arabes il n'y avait pas de meilleur homme que Mr. Durand et maintenant il ne vaut plus rien. Ils se moquaient d'Achmed et disaient : tu vas t'enrichir avec Mr. Fritz, il n'a pas le sou. Maintenant, il n'y a pas de meilleur homme que moi ; c'est que je ne parle pas toujours de justice mais je m'efforce de l'exercer ; j'évite ce qui peut choquer les habitudes ou les croyances arabes, sans toutefois faire semblant de vouloir tourner au mahométisme qu'ils ne cessent de me prêcher. Sous ce rapport, au contraire, je suis très-explicite et cela ne nuit nullement à la considération qu'ils peuvent avoir pour moi, car tout en discutant je ne leur dis pas de grossièretés. Aussi un arabe m'a-t-il dit dimanche dernier : on voit bien que ton père est un grand marabout et c'est pour cela que tu vaux mieux que les autres Nezara[9].
Je lui ai répondu ce que je ne cesse de leur répéter, qu'ils ne connaissent pas du tout les français et qu'ils ont tort de les juger d'après les ouvriers et les colons ; en effet, la grande majorité des européens qu'ils ont sous les yeux ne sont pas faits pour inspirer un grand respect pour les peuples dont ils ne sont généralement que la lie.
Les arabes ont quelquefois des idées très-baroques sur notre compte ; ils me demandent avec quoi nous faisons du beurre ; si l'on cultive du blé, comment on mange, et ils prétendent que nous ne savons pas nous nourrir convenablement.
Vous demandez si les arabes chantent ? Certainement, si du moins on peut appeler chant des espèces de mélodies composées de demis et de quarts de tons d'une gamme fort peu étendue, le tout chanté par le nez. Les femmes chantent lorsqu'elles sont occupées à moudre le grain, position très-peu favorable, car elles sont accroupies et font tourner la meule à deux. C'est un travail des plus fatigants et je ne conçois pas comment on peut chanter en l'exécutant. Il est vrai que ce chant ressemble plutôt à des cris de détresse et toujours poussés le plus possible par le nez.
Pendant les moissons, les arabes chantent beaucoup et principalement leur confession de foi sur un air assez simple ; on appelle cela n'sebachou (voir rosenkranzen[10]) et on le chante d'ordinaire à deux ; le premier dit : « hors Dieu, point de Dieu » et l'autre répond : « et Mohammed est le prophète de Dieu ».
M'Chaïda, 18 mai 1860
Hier soir, je travaillais au jardin ; il faisait assez bon quand subitement il se leva un vent très-froid et qui, en très-peu de temps, devint impétueux. Cependant, je continuais à piocher quand tout à coup Achmed dit : « sauvons-nous, voici la pluie ! ». Je me hâtai de porter à la maison un sac de fourrage pour les chevaux et puis j'allais pour rentrer mes bêtes. Mais avant d'avoir défait l'entrave du cheval une affreuse grêle vint à tomber ; tout le bétail se sauva dans le ravin de ma limite est pour se garantir un peu du vent et des grêlons qui tombaient comme de gros pois, d'abord, puis comme des noisettes mêlées de noix. Je couru après les vaches pour les empêcher d'aller dans le blé, ce qui ne me réussit qu'à moitié et je restai ainsi, avec le gamin qui garde les vaches, exposé à l'averse, pendant un temps qui me parut extrêmement long. L'orage passé, je rentrai trempé et gelé au logis dont je trouvai le toit semblable à un crible, il y tombait de l'eau comme au dehors et mon lit était trempé ; Dieu merci j'ai pu le sécher au soleil aujourd'hui, et demain je vais à El-Arrouch voir s'il y a des tuiles.
Outre un hibou, j'ai deux petits hôtes bien plus jolis qui habitent un creux du mur sud de ma maison : c'est un couple de charmantes mésanges bleues. La femelle couve en ce moment et son mari est infatigable pour lui apporter des chenilles, des insectes, je crois même avoir vu dans son bec de petits escargots. Si j'en avais le temps, je m'amuserais à compter le nombre d'insectes qu'il va chercher dans une journée ; il doit être prodigieux et on a bien tort de détruire ces petits oiseaux si utiles.
M'Chaïda, 9 sept. 1860
Je suis en train de faire un four à pain, maintenant que Coll est revenu. J'avais eu depuis quelque temps et jusqu'au retour de Coll, Renaud, notre ex-garçon du Filfila auprès de moi. Il était arrivé de Constantine où il avait été à l'hôpital malade d'une fièvre rebelle ; comme on ne pouvait pas l'en débarrasser, on lui donna des certificats pour rentrer en France. N'ayant plus le sou, il vint me trouver et me fit entendre qu'il voudrait rester chez moi. Je lui donnai tous les jours du (sic) quinine et il me faisait la cuisine et tenait la maison en ordre. Ah qu'il regrette le Filfila, et le canapé de la grande chambre, et le lait des chèvres, et le dolce farniente !
M'Chaïda, 26 jan. 1861
L'un de ces jours j'ai été très-désagréablement réveillé par une secousse de tremblement de terre qui fit faire un bruit très-inquiétant à mes tuiles, aussi me sauvai-je à la hâte hors de la maison. Heureusement j'en fus quitte pour la peur ; quelques minutes plus tard, il y eut une dernière secousse, bien moins forte mais accompagnée d'un bruit de tonnerre assez prolongé. Les marabouts voient en cela, comme en l'éclipse de l'année dernière, un signe certain que le monde va bientôt finir ; ou du moins qu'il y aura une grande révolution sociale, que peut-être Sidi Ali (neveu de Mohammed) va bientôt revenir et achever l'extermination de tous les infidèles.
Les esprits sont généralement très-préoccupés par ces phénomènes auxquels l'imagination orientale et le fanatisme intéressé viennent encore en joindre d'autres. Ainsi par exemple il court en ce moment le bruit que sur toute la limite de Tunis et de l'Algérie la terre s'est fendue de manière à ne laisser passer ni hommes ni bêtes. C'est, disent les marabouts, un signe de Dieu qui sépare ainsi les vrais Musulmans de ceux qui sont mélangés aux roumis, sans doute à fin que Sidi Ali ne s'y trompe pas et n'extermine pas les bons au lieu des mauvais.
Les arabes croient aussi que nous sommes les humbles serviteurs du sultan de Stamboul, auquel nous payons de forts tributs et qui nous a vendu l'Algérie parce que le Dey d'Alger s'était révolté contre lui. Il n'aurait qu'à dire un mot et nous ne resterions pas une heure de plus dans le pays.
Pourquoi, disent-ils, faites-vous tous les ans ces courses, ces fantasias ? C'est pour jeter du sable dans les yeux d'Abd-el-Medjïd, auquel on envoie des rapports sur la manière brillante dont ces fêtes s'accomplissent ; des rapports constatant que les arabes continuent à avoir de beaux chevaux, de beaux habits, qu'ils sont contents et heureux sous notre domination. Mais, s'écria dernièrement un khamès, s'il nous voyait, nous, possesseurs d'une seule chemise toute déchirée et noire ; n'ayant pas de savon pour la laver, un burnous qui ressemble à un crible ; s'il nous voyait manger du kessera de sorgho, boire de l'eau, que dirait-il ? Vous autres français, vous êtes plus malins que les chacals, vous venez à bout de tout ; il n'y a que la mort que vous ne sachiez maîtriser ; elle vient et vous jette en enfer où vous brûlez éternellement en compagnie des juifs. Convertis-toi ô Mr. Fritz, tu seras meilleur que le meilleur musulman car un chrétien converti vaut un musulman et demi, et sinon, tu te repentiras quand il sera trop tard, et tu te repentiras éternellement.
A cela je réponds que nous verrons, que je crois avoir raison et qu'ils ont tort ; je n'essaie nullement de faire du prosélytisme, car ils sont trop bien convaincus de posséder la vérité, ils sont trop formalistes et ignorants pour comprendre l'esprit du christianisme. Un idolâtre se convertira plutôt qu'un Mahométan.
M'Chaïda, 24 fév. 1861
Les oiseaux de proie sont très-nombreux ici ; un arabe a vu, il y a peu de temps, un aigle fondre à plusieurs reprises sur des veaux auxquels il aurait sans doute fini par arracher les intestins, s'il ne l'avait chassé. Ces aigles sont d'une audace prodigieuse : l'année passée j'étais dans la tente d'Achmed lorsque je vis un aigle fondre sur une poule, je criai et les arabes en firent autant : l'aigle s'envola un peu plus loin, puis revint sur une autre poule et si je n'étais sorti précipitamment de la tente en jetant mon chapeau vers lui, il eût enlevé la poule.
Nous avons, je crois, ici deux espèces d'aigles dangereux aux poules ; puis un autre oiseau de proie à queue fourchue dont j'ai oublié le nom et que les arabes appellent syonèna ; celui-ci prend de la viande et de jeunes poulets ; c'est un fort bel oiseau.
Au dire des arabes, c'est lui qui est la cause qu'ils ne peuvent manger du porc et voici comment :
Autrefois les arabes mangeaient les sangliers comme toute autre bête ; or un jour on fit une nefka[11] d'un sanglier : on l'avait coupé par petits morceaux comme cela se fait pour toutes les nefkas et les tas de viande étaient préparés ; il ne s'agissait plus que de les répartir par le sort entre les différents individus, quand une syonèna se précipita sur la viande et en enlève un morceau.
Aussitôt, toute la réunion de s'écrier : haram ! haram ! haram ! (impur, impur) : la syonèna effrayée laissa retomber son morceau de viande au milieu des autres ; on ne put savoir lequel elle avait pris et, comme il avait été déclaré haram par tout le monde, il fallut s'abstenir de manger de ce sanglier.
Commet se fait-il qu'on a étendu cette impureté sur tous les sangliers à venir, c'est ce qu'on ne put m'expliquer ; « nos savants disent ainsi », voilà la réponse qui clôt toute discussion.
Lorsqu'on achète une jument, on doit tuer un mouton, faire couler son sang sur la patte de devant de la jument et faire un couscoussi monstre pour ses amis et connaissances. Pourvu qu'ils puissent manger, les arabes !
Pour avoir de la pluie, les femmes ont demandé des œufs, de la farine, du beurre à fin d'en faire des galettes ; on va tuer aussi des moutons ou une vache que l'on mangera également pour avoir de l'eau. On dit : nous allons faire une zirta en l'honneur des maîtres du pays, c. à d. des propriétaires, ceux-ci étant sans doute censés prier Dieu pour qu'il donne de la pluie à leurs fermiers. Mais je crois que ces messieurs, pourvu qu'on leur paie le fermage, se soucient fort peu des misères que peut avoir leur fermier ; ils croient tous que les arabes s'enrichissent prodigieusement chez eux ; et cependant, quand je vois le kessera noir qu'ils mangent il est évident qu'il n'est pas fait de blé, mais de sorgho et d'orge, affreuse mangeaille !
Il est déplorable que, depuis le temps que nous occupons l'Algérie, on n'ait absolument rien fait pour l'instruction primaire des populations indigènes. Au lieu de soi-disant savants arabes qui ne font que nourrir chez les enfants la haine contre les roumis, qui n'enseignent rien que des rudiments du coran, on aurait des instituteurs dévoués à notre cause et à la civilisation. Les arabes finiraient forcément par voir que leurs notions de géographie, d'histoire, etc. sont fausses. On ne nommerait à des fonctions publiques telles que cheikh, caïd, cadi, que des gens sachant parfaitement lire et écrire en français ; la plupart d'entre eux ne sait même pas écrire en arabe.
M'Chaïda, 27 mai 1861
Je suis très-heureux d'avoir avec moi un Praktikant[12], un allemand[13] qui me demanda il y a quelque temps de le prendre pour un ou deux mois à fin qu'il voie ce qu'il y a à faire dans le pays. Il voudrait se fixer à côté de moi, ce dont je serais très-heureux car il a de l'instruction et a fait des études agronomiques en Prusse. C'est lui qui s'acquitte des soins du ménage (il est bon cuisinier) et emploie le temps qui lui reste à m'aider à faucher et à faner.
Hier nous avons passé la journée chez Mr. Matte, l'ex-capitaine de marine ; on a fait de la musique, on a causé, c'était charmant, un véritable délassement pour moi qui était privé de société depuis si longtemps. Mr. Matte a une fille[14] fort gentille.
M'Chaïda, 18 oct. 1861
Il existe en Algérie certaines terres appelées azels du beylik[15] et qui sont louées par l'administration des domaines tous les trois ans aux enchères.
M'Chaïda était un pareil azel et, à quelques lieues d'ici, il en existe un autre appelé Bou Hajeb. Les arabes m'engagèrent beaucoup à le louer et Mr. Krell et moi nous décidâmes à aller le voir ; cependant, je fus retenu par deux messieurs que Mr. Durand m'adressait et je laissai aller Mr. Krell, qui à présent a acheté une concession à côté de moi. Il revint assez enchanté, ce qui nous détermina à aller à Constantine pour voir si nous pourrions avoir cette location.
Nous partîmes vers onze heures et arrivâmes vers cinq heures tout couverts de poussière. Jeudi matin, les enchères commencèrent et durèrent jusqu'au samedi ; comme notre azel se trouvait à la fin, nous eûmes le temps de nous promener ; nous fîmes entre autres un petit tour à cheval sur la route de Sétif. Un soir, nous allâmes au théâtre où nous vîmes le Postillon de Longjumeau[16], assez bien rendu, avec un orchestre passable, et deux vaudevilles. En rentrant à minuit nous trouvâmes nos chambres occupées par des arabes et nous apprîmes qu'il n'y avait plus de pièce vacante. « Que faire ? » dis-je à Mr. Krell ; nous nous promènerons toute la nuit sur la place du palais. Et nous voici mesurant la place et suivant, plein de rage et de désespoir, l'aiguille d'un cadran éclairé, par une nuit passablement sombre et chargée d'orages qui, de temps en temps, nous envoyaient quelques gouttes. Un banc qui longe la place nous servit de lit que nous partageâmes d'abord avec un autre lazzarone[17] que chassa la pluie.
Nous n'eûmes alors pour seul compagnon qu'un barbet, le chien du corps de garde qui faisait la chasse à tout individu de son espèce qui osait se montrer sur la place.
Enfin à quatre heures, le moment de l'arrivée des diligences, nous nous crûmes en droit d'aller voir dans un hôtel si nous ne trouverions pas une chambre. Nous en eûmes une très-jolie à l'hôtel d'Orient et nous fûmes bientôt plongés dans les bras de Morphée.
Enfin samedi matin notre tour arriva ; nous eûmes quelques concurrents qui poussèrent un peu plus haut que nous ne l'avions pensé ; mais grâce à Mr. Lamouroux, avec qui j'avais renouvelé connaissance, l'azel nous fut adjugé à un prix qui nous laisse encore quelque bénéfice.
Nous quittâmes Constantine dimanche matin et, le mercredi suivant, nous allâmes à Bou Hadjeb pour nous arranger avec les arabes sous-locataires. Nous fûmes reçus par la Djemâh[18] et un parent d'Achmed nous servit du rfiss au miel ; puis nous parcourûmes le pays et, après avoir mangé du couscoussi, les négociations commencèrent. Il serait impossible de dire et de rendre en français tous les pourparlers par lesquels il faut passer.
M'Chaïda, 23 déc. 1861
Je reçus le premier du mois une lettre de Mr. Zill qui m'annonçait son arrivée à Philippeville ; je résolus d'aller au Filfila pour lui rendre son cheval et divers ustensiles que j'avais emportés du Dmel-Bès-Bès.
Je partis donc dans la nuit avec un arabe qui conduisait Mourzoug tandis que moi je montais ma jument. Un beau clair de lune éclairait notre marche nocturne, tant soit peu périlleuse, par de mauvais chemins raboteux. Il commençait à faire jour quand nous arrivâmes à El-Arrouch ; depuis cet endroit jusqu'à Ras-el-Ma qui se trouve à dix ou douze kilomètres de Jemmapes, on passe par une traverse bordée d'oliviers magnifiques, tantôt sur des hauteurs d'où l'on jouit d'une assez belle vue, tantôt par de petites vallées animées par des ruisseaux qui serpentent au travers d'épais buissons de lauriers roses. Nous rencontrâmes plusieurs chacals qui s’enfuyaient à notre approche et qui étaient à chasser de pauvres petites perdrix, celles-ci nous regardèrent avec reconnaissance de les avoir délivrées de leur ennemi rusé. C'est signe de bonne chance, disent les arabes, lorsqu'on rencontre un chacal, aussi espérais-je pour sûr trouver Mustapha installé à son vieux Dmel-Bès-Bès.
Près de Ras-el-Ma, nous donnâmes l'orge à nos chevaux et nous-mêmes nous mangeâmes un peu de pain ; puis je sellai le vieux Murzoug à fin de ne pas trop fatiguer ma pauvre petite jument car nous n'avions fait qu'environ la moitié du chemin.
Un peu au-delà de Ras-el-Ma, une foule de gamins arabes gardaient des moutons et des chèvres ; ils se mirent à courir à côté de moi en riant et, sur ma demande s'ils mangeaient du pain de nezara, ils répondirent par de joyeux : mâl (certes). Je leur donnai mon restant de pain qu'ils se disputèrent comme des chats auxquels on a donné un os ; il y avait entre autres une petite fille charmante, aux yeux noirs et brillants ombragés par de magnifiques cils noirs.
La route de Ras-el-Ma à Jemmapes est extrêmement ennuyeuse ; elle est droite, bordée de broussailles et l'on voit toujours ce malheureux village devant soi, sans pouvoir l'atteindre. Nous y fîmes cependant notre entrée à midi et j'offris une tasse de café à mon arabe, Bou Ziène, car nous avions soif et nous étions fatigués. Il ne dit pas non et nous descendîmes à un café où je trouvai Riekhan. Il était charmé de me voir et m'apprit qu'Abdallah avait reçu une lettre de Mr. Zill qui le mandait à Philippeville.
Après avoir bu deux tasses de café bien petites et à moitié remplies de marc, nous repartîmes ; à quelques kilomètres du village, je m'aperçus tout à coup que j'avais perdu le chemin – un chemin que j'ai fait tant de fois et même la nuit ! Je n'y comprends rien ; sans doute une vieille sorcière aux cheveux épars surmontés d'un énorme chapeau de paille, et qui gardait les cochons sur le bord du chemin, m'avait jeté un sort. Heureusement je me retrouvai bientôt et nous arrivâmes sans autre accident au Dmel-Bès-Bès.
Je fus reçu par Halima, la femme d'Abdallah, une bonne vieille qui n'a plus de dents et qui autrefois était très-farouche mais s'est radoucie depuis. Bientôt après Abdallah arriva aussi et me dit qu'il avait vainement cherché Mr. Zill dans tous les hôtels de Philippeville (c'est que Mr. Z. avait été retenu par Mr. Lucy et nous avait par conséquent fait faux bond).
Abdallah a un excellent cœur et se réjouit comme un enfant de revoir son vieil ami. Halima, tout en roulant la pâte pour notre couscoussi, se confondait en conjectures sur ce que Mustapha lui rapporterait et parcourait à cet effet tous les articles de toilette fort peu nombreux du reste d'une barrania. Je couchai assez bien sur le canapé de Mr. Zill.
Le lendemain, nous nous remîmes en route de très-bonne heure ; arrivée chez Riekhan qui a élu domicile dans la concession d'un maltais, je fus reçu avec cette franchise joyeuse dont les nègres seuls sont capables et qui les distingue avantageusement des arabes. La pauvre Saada, qui est toujours aveugle, vint à tâtons au-devant de moi pour me baiser la main.
On donna l'orge à nos chevaux et étendit des nattes par terre pour Bou Ziène tandis que Riekhan me donna un escabeau pour m'asseoir ; puis il me demanda si je voulais prendre de l'absinthe. « Comment, malheureux, tu bois de l'absinthe ! lui dis-je, il est bienheureux que tu sois nègre, car autrement tu irais droit en enfer ». « Ce n'est pas l'absinthe ou le vin qui fait aller en enfer, me répondit son associé marocain et pèlerin de la Mecque, c'est le mensonge, le vol et tant d'autres péchés qui font aller en enfer. Moi j'ai bu du vin à la Mecque et la plupart des cadis et des tolbas[19] en font autant ; je me suis même nourri pendant longtemps de viande de sanglier et cependant j'espère bien aller en paradis ».
La femme de Riekhan fit du rfiss, et lui se mit à faire des crêpes à sa façon ; il était curieux à voir, assis devant sa poêle à frire, laissant bien chauffer le beurre, puis y mettant une grosse cuillerée de pâte et retournant son omelette lorsqu'elle était brune d'un côté. Aussi était-il fier de son chef-d'œuvre et pour lui faire plaisir j'en mangeai presque trop.
Il voulut absolument que nous couchions chez lui, mais je n'avais guère envie de passer une nuit sur la dure et, au grand mécontentement de Bou Ziène, nous partîmes et arrivâmes rompus à M'Chaïda vers neuf heures. Bien nous en prit d'être rentrés car il plut à verse les deux jours suivants.
M'Chaïda, 12 janvier 1862
Quand j'ai parlé d'un jardin de figuiers que je voulais établir, l'un des Beni Ferguen m'a demandé de planter quelques boutures avec moi ; sur quoi je lui répondis qu'il n'y aurait que moi et personne d'autre qui en planterait. Il me dit alors que ce n'était pas pour avoir un droit quelconque sur cette plantation, mais à fin que les gens en passant disent : « C'est Bou Zéïd qui a planté ces arbres ; que Dieu le bénisse ». Les arabes croient qu'un individu qui plante est pardonné d'une foule de péchés ; chaque arbre arrivé à la grosseur du cou, lave un assassinat et le susdit individu me disait : « lorsqu'un arbre a cette grosseur, tue, ne crains pas, ton péché est lavé ». Cela m'affermit dans mon intention de ne pas le laisser planter avec moi, car une fois l'arbre arrivé à la grosseur voulue, il pourrait prendre fantaisie à l'individu de me couper le cou.
Bou Ziène, un des cousins d'Achmed, voulait aussi planter avec moi ; son but était plus matériel. Il me disait : « Ô Monsieur Fridès laisse moi planter quelques petits figuiers avec toi, pour que plus tard, quand nous viendrons à l'époque des figues en visite chez toi, nous mangions de nos propres arbres, et que tu ne dises pas : vous n'entrerez pas au jardin car vous m’abîmeriez tout ; nous ne toucherons qu'aux nôtres ». Non, non, ô Bou Ziène, tu ne planteras pas avec moi, je ne veux pas que quelqu'un ait une propriété dans ma propriété. « Mais les arbres t'appartiendront b'el habb ou b'el tsebèn (avec le grain et avec la paille) ». Mais que reste-t-il alors à toi, car les grains ce sont les figues, et la paille c'est l'arbre ? « Nookelou bark (nous mangerons seulement) ».
D'autres arabes m'ont conseillé de ne pas planter de figues douces, mais des figues de barbarie, car « de ces dernières on en peut manger du matin au soir sans être rassasié, tandis qu'on a assez lorsqu'on a mangé une demi-douzaine de figues douces ». J'ai vu cependant des arabes qui en ont mangé bien plus que cela et moi-même j'en ai fait autant au Filfila. Il est vrai que les arabes mangent des quantités vraiment effrayantes de figues de barbarie : Achmed et sa tante en font disparaître une charge de mulet en un jour.
M'Chaïda, 2 février 1862
Il y a quinze jours nous avons été chez les Matte et j'ai joué à Mlle Matte mon morceau sur Richard Cœur de lion. Malheureusement son piano est si bas et si discord qu'il n'y a presque pas moyen de jouer, et puis Mlle Matte ne joue pas du tout en mesure. Joignez à cela la raideur de mes doigts et vous pourrez vous faire une idée du charivari que nous faisons.
Dans l'après-midi nous fîmes une promenade à cheval ; Mlle Matte et une de ses amies montaient nos juments, Mr. Krell le cheval de Mr. Matte, moi une jument arabe et le fils Matte[20] suivait sur leur mule ; il avait l'air d'un maître d'école américain faisant sa tournée.
Après dîner nous avons un peu dansé, le premier quadrille depuis mon départ de Strasbourg ! Lorsque vers onze heures nous rentrions, Mr. Krell dit : si nos parents nous voyaient à présent, tous deux à cheval, vous avec votre violon sous le bras, moi avec la musique.
M'Chaïda, 17 mars 1862
Il y a trois semaines nous avons passé une journée à Bou Hadjeb pour arranger des différents entre nos fermiers et des gens auxquels nous avions loué le pâturage. Ces derniers trouvant qu'il y avait peu d'herbe là où pâturaient nos fermiers, allèrent placer leurs tentes au milieu d'un endroit réservé par la Djemâh pour les bœufs de travail et les chevaux.
Arrivés à Bou Hadjeb, on nous fit tout d'abord manger du m'chohoeta, espèce de crêpes avec du miel et du beurre plus ou moins rance, puis du rfiss et un autre mets arabe aussi avec du miel. Ensuite seulement nous allâmes voir l'affaire de nos achèba (c'est ainsi que l'on appelle les gens qui pâturent). Ils étaient en effet installé au milieu de la réserve de la Djemâh qui avait bien raison de se plaindre car leurs bêtes avaient dévoré jusqu'à la racine de l'herbe dont la repousse eût été compromise s'il n'était pas tombé d'eau.
Aussi leur signifiâmes-nous de déguerpir au plus vite, ce qu'ils promirent de faire ; mais eux de leur côté se plaignirent d'avoir été rossés par nos arabes et ils portaient en effet quelques bleus à la tête.
Le cheikh dut intervenir et, après avoir crié et gesticulé pendant une demi-heure, il dit à la Djemâh de prendre les achèba devant le cadi pour les dommages et intérêts que ceux-ci devaient leur payer pour avoir dévoré leur herbe, et fit son rapport au bureau arabe pour les coups que les achèba avaient reçu.
Ces derniers avaient amené une demi-douzaine de vieilles femmes pour plaider leur cause. Vous auriez ri de nous voir entourés de toutes ces dames, parlant, gesticulant, passant leur main osseuse sur notre barbe et puis l'embrassant ; l'une d'elles d'une laideur au-dessus de tout ce qu'on peut se figurer voulut entreprendre Mr. Krell qui se sauva à toutes jambes au grand amusement de la Djemâh.
Enfin, pour couper court, je leur dis qu'on le ferait tel que le cheikh l'avait décidé et je partis. On nous apporta sous un figuier un couscoussi monstre avec des poulets ; il était bon et il paraît qu'il agit favorablement sur la bile de nos arabes qui me prièrent d'en laisser l'affaire là, vu qu'ils voulaient se pardonner réciproquement. Je ne demandais pas mieux, mais, à part moi, je pensais qu'ils auraient bien pu se pardonner avant de nous avoir fait venir à Bou Hadjeb.
M'Chaïda, 18 oct. 1862
Le mariage de Mr. Krell avec Mlle Matte a eu lieu le 7 de ce mois[21] ; j'étais allé à Philippeville à dos de mulet ce qui me fatigua beaucoup car je venais d'avoir la fièvre ; mais je ne pouvais faire autrement parce que je voulais revenir par le Dmel-Bès-Bès.
Le soir on signa le contrat et le lendemain vers neuf heures on alla à la mairie puis à l'église ; on déjeuna et les nouveaux mariés partirent pour M'Chaïda tandis que moi je pris le lendemain la route du Filfila.
Dans les dunes je rencontrai un garde forestier qui me dit que Mr. Zill partait le matin même ; je poussai par conséquent mon mulet et vers neuf heures j'arrivai au Dmel-Bès-Bès.
Là on m'apprit que Mustapha venait de partir pour Jemmapes, je continuai donc ma route et le rattrapai au bas de la côte. Il était à cheval et paraissait assez bien portant, grand causeur comme toujours ; mais quand il s'agit de descendre de cheval et de monter dans un cabriolet, il fallut deux personnes pour le soutenir. Il avait eu deux coups d'apoplexie et son mal articulaire l'avait repris.
J'arrivai mort de fatigue à Jemmapes où Mr. Ricard, le représentant de la compagnie Lucy et Falcon, nous donna l'hospitalité. Je passai encore la matinée du jeudi avec Mustapha à Jemmapes, puis j'allai coucher à El-Arrouch et vendredi soir j'arrivai à M'Chaïda.
M'Chaïda, 16 nov. 1862
Nous avons été très-froidement et désagréablement surpris jeudi matin en trouvant tout le pays couvert d'un épais manteau de neige. Mais elle disparut presqu'entièrement le même jour quoiqu'il y en ait encore à Sidi Driss et vis-à-vis de nous sur le Djebel Ouahch ; aussi fait-il froid et le susdit Sidi se coiffe d'un bonnet de brouillard de mauvaise augure pour demain. Il est peut-être fâché contre moi parce que je ne lui ai pas donné la dîme cette année ; c'est que ses tolbas sont venus trop tard, quand j'avais déjà ensilé. Du reste, ils seraient venus à temps que je ne leur aurais rien donné. L'année dernière, j'ai dit à l'un d'eux qui venait mendier l'achour[22], que je le lui donnerais s'il savait lire bien couramment et je lui donnai les fables de Lokman[23]. Il me dit qu'il ne savait pas lire cela parce que c'était imprimé et que du reste ce n'était pas le coran. Je ne lui donnai par conséquent ni dîme ni autre-chose ; il me dit que Sidi Driss se fâcherait, je lui répondis qu'il se fâche, s'il veut, mais qu'avant tout il apprenne à lire à ses étudiants.
M'Chaïda, 22 déc. 1862
Me voici de nouveau en famille, Dieu merci ! Et vous pouvez bien penser avec quelle impatience j'attendais mes chers voisins, surtout parce qu'ils devaient m'apporter de vos nouvelles.
Mardi à déjeuner je reçus par un exprès une lettre de Mr. Krell, m'annonçant son arrivée à Philippeville lundi matin et me priant de venir le prendre à El-Kantour. Je fis immédiatement préparer les chevaux nécessaires quand un arabe vint m'annoncer que Mr. Krell m'attendait à El-Kantour.
Je m'y rendis au plus vite et j'y trouvai mon voisin avec toute sa smala. Après avoir chargé les malles et paquets les plus indispensables sur un mulet, on voulut faire monter maman Krell sur une de ces bêtes, mais la bonne dame avait si peur qu'on dut la faire descendre et son fils la conduisit à pied à M'Chaïda.
Pendant tout le chemin on ne parla que de vous et maman Krell espère que vous viendrez à M'Chaïda et que vous vous y plairez tant que vous ne voudrez plus retourner en France. Ce serait une petite colonie qui ne laisserait plus rien à désirer ; ce rêve me semble si beau que je désespère presque de sa réalisation.
M'Chaïda, 23 fév. 1863
Toute la semaine passée il a fait beau temps, aussi en ai-je profité pour remplacer les pieds de vigne manquants et pour mettre sur le toit de l'écurie les tuiles que j'avais ; vendredi je voulais aller prendre celles qui me manquaient encore à El-Kantour mais je fus détourné de ce travail et vous ne devineriez pas par quoi. Ce fut une chose inouïe à M'Chaïda et qui ne s'y était vue de mémoire d'homme – une chasse au lion.
Je travaillais le matin dans la vigne quand, de l'autre côté de la rivière j'entendis crier les arabes, et puis je les vis courir à droite et à gauche. Je ne savais pas trop ce que tout cela signifiait quand le gamin qui garde les moutons me dit : « Entends-tu ? Ils disent qu'il y a un lion et qu'il vient de dévorer un homme (ce mot arabe dévorer peut aussi signifier mordre). Tiens il passe là-bas dans cette pièce labourée et le voilà sur le terrain de Mr. Krell. »
Je vis en effet bondir une bête trop grande pour être un chacal, trop jaune pour une panthère ou une hyène, et qui disparut dans les lauriers roses bordant la rivière. Ayant prêté attention aux cris des arabes, je compris qu'ils nous appelaient, Mr. Krell et moi, pour venir tuer un lion.
Je chargeai ma carabine et rejoignis les arabes de l'autre côté de la rivière ; ils me dirent que la bête était venue des montagnes situées entre M'Chaïda et Constantine, qu'il (sic) avait blessé un homme et qu'on n'attendait que du renfort pour l'attaquer sérieusement et le faire sortir de sa cachette.
Après avoir attendu longtemps et crié beaucoup, les renforts arrivèrent ; on cria de plus belle, chacun donnant à tout le monde des conseils sur la manière de se placer et de se comporter dans le cas où le lion sortirait. Pendant tout ce bavardage, l'ennemi ne bougeait pas, au point que je doutais presque de sa présence ; cependant, à force de lui jeter des pierres et de le tracasser par un chien qui avait eu le courage de pénétrer dans le fourré, le lion sortit une fois de sa retraite. Mais il fut reçu par une salve de coups de feu qui l'engagèrent à se retirer en mugissant. Il se fit un grand silence, la bête ne bougeait plus, on ne savait si elle était morte ou méditait vengeance. Enfin, après des pourparlers interminables, un jeune homme très-courageux se hasarda dans le fourré où il trouva le lion mort. Alors la plupart de ceux qui n'avaient pas tiré lui lâchèrent leur coup de feu : histoire de l'âne dans la fable. Après avoir montré la bête, qui n'était qu'un lion fort jeune et petit, aux dames Krell, on l'emporta à la préfecture de Constantine à fin d'obtenir la prime dont j'aurai ma part, car le montant de cette prime et le prix de vente seront partagés entre tous ceux qui ont assisté armés à la chasse.
Le lion a été vendu cent cinquante francs.
M'Chaïda, 28 avril 1863
Me voici de nouveau à M'Chaïda où j'ai trouvé tout en assez bon ordre[24].
Nous sortîmes du port de Marseille un peu après deux heures par un mistral épouvantable qui amenait la lame en biais sur l'entrée du port et nous fit passablement danser. J'en reçus même une très-forte ondée sur le dos ; j'étais appuyé contre la balustrade de la dunette et je regardais tristement fuir les côtes de France quand une vague embarqua et me transperça de pied en cape en compagnie de plusieurs autres passagers. Je ne fus pas cependant malade ; à mesure que nous avancions, la mer se calmait et le mistral devenait moins violent. Toute la journée du samedi fut splendide, une mer douce comme de l'huile, point de vent, un soleil radieux, aussi la dunette était-elle très-animée ce jour là. Une petite actrice surtout nous amusait beaucoup par sa verve, son originalité et sa folle gaîté ; le soir elle s'amusa à dire les cartes à plusieurs voyageurs.
Dimanche matin de bonne heure nous arrivâmes en vue des côtes d'Algérie ; vers sept heures je crois, nous débarquâmes. J'allai faire quelques courses en ville et le même soir je partis pour El-Kantour par une route affreusement poudreuse. Je trouvai là Trumpf[25] avec lequel je vins ici à pied par un chemin extrêmement raviné par les pluies, raboteux par ci, boueux par là.
Le lendemain je descendis chez les Krell et vous pouvez penser que nous avons beaucoup parlé de vous. Les pluies torrentielles qui sont tombées après mon départ ont fait beaucoup de dégâts ; tout mon jardin a glissé ; il est bouleversé et fendu comme après un tremblement de terre. Ailleurs, les chemins sont dégradés.
M'Chaïda, 21 mai 1863
Tous les jours je fais un peu de musique ; c'est singulier que le violon me fatigue moins que d'écrire parce que je ne suis pas obligé de réfléchir ; c'est remarquable combien un accès de fièvre vous affaiblit corps et âme.
Dans une lettre qu'il m'a écrite dernièrement, Mr. Bella m'offre une régie près de Guelma ; je verrai : si cela est avantageux, j'accepterai car la récolte s'annonce bien mal ici – mais il faut d'abord que je sois remis.
M'Chaïda, 19 juillet 1863
Vous êtes sans doute impatients de connaître le résultat de mon voyage à Guelma, dont je vais vous donner un récit détaillé.
Je partis jeudi il y a huit jours à quatre heures du matin, montant ma jument à fin de ménager le mulet pour le transport des moissons. Je passai par Bou Hadjeb ; je traversai la rivière puis vint pendant quelque temps un magnifique pays d'oliviers avec d'assez mauvais chemins.
Vers neuf heures environ, en passant près d'une sriba, un arabe couché sous un olivier me salua très-amicalement ; c'était un ancien habitant de M'Chaïda. Je m'arrêtai là pendant qu'on donnait l'orge à mon cheval et puis je repartis dans la direction de Guelma ignorant complètement le chemin que je devais suivre.
Je longeai d'abord à mi-côte une belle vallée au fond de laquelle coule une rivière qui se jette dans le Safsaf ; peu à peu les oliviers firent place à d'énormes étendues couvertes de chênes zène[26], malheureusement massacrés par des charbonniers marocains. Le chemin était presque partout mauvais, rocailleux et montait beaucoup ; il y avait cependant une belle vue qui s'étendait jusque vers M'Chaïda.
Vers midi j'arrivai sur une espèce de haut plateau d'où l'on voit vers le sud, les hauts plateaux des environs d'El-Aria ; un charbonnier m'indiqua mon chemin, mais je dus encore plusieurs fois le demander dans la vallée que je suivais et qui peu à peu s'élargit. Il y avait là des oliviers et des broussailles de toute espèce ainsi que d'assez jolies cultures. Au nord, des pentes plus ou moins abruptes empêchaient la brise de venir jusqu'à moi, aussi faisait-il une chaleur épouvantable.
Le chemin était affreux ; il fallait monter, descendre par des rochers dignes des environs d'Ottenhöfen[27].
J'arrivai vers trois heures à un endroit magnifique appelé El- Faïa ; au nord se dresse une immense montagne rocheuse dépourvue de végétation, contre laquelle sont collés quelques gourbis arabes. A son pied surgit une source qui, au sortir du roc, forme une rivière arrosant de beaux jardins. Quel parc on ferait là avec un peu d'argent !
L'eau de cette source est limpide et fraîche et, en coulant par-dessus les rochers, elle murmure tout comme les ruisseaux de la Forêt-Noire ; cela me donna comme une velléité de nostalgie.
Cependant, je ne pouvais pas me laisser aller à ce sentiment ; je me demandais si j'arriverais ou non à Hammam-Meskoutine, où je voulais passer la nuit, et que les uns disaient être tout près, les autres encore bien loin. Enfin vers six heures, lorsque ma jument ne pouvait presque plus marcher et que moi-même j'étais harassé de fatigue, j'atteignis une hauteur d'où je vis au loin (N.E.) le lac Fetzara et vers l'est une route blanche tracée dans les broussailles et conduisant de Hammam-Meskoutine[28] à Guelma. Cela me donna du courage et, au bout d'une demi-heure, je me trouvais devant de grands bâtiments ; c'étaient les bains, mais à mon grand désappointement, je trouvai les volets et la porte fermée. Il n'y avait pas une âme, le soleil allait se coucher, ma pauvre gazelle ne marchait plus qu'à force d'éperons, et moi-même je me tenais à peine debout.
Aussi n'examinai-je que très-superficiellement les eaux chaudes qui surgissent là en plusieurs sources très-puissantes, et je pris tristement le chemin de Guelma.
Ayant rencontré des arabes qui moissonnaient, je leur demandai si je pourrais arriver jusqu'à Guelma ; ils me dirent que non, mais que je devais demander l'hospitalité à la ferme de Medjez-Amar[29], installée comme le palais d'un roi. Or c'était là précisément la ferme dont on me propose la régie et j'étais médiocrement disposé à demander l'hospitalité à Mr. Campo-Casso, un corse, régisseur actuel de la propriété. Mais enfin, contre la force il n'y a pas de résistance. Je me présentai comme ancien élève de Grignon et je fus bien accueilli par Mr. Campo, premier élève de cette école. Une fois la jument mise à l'écurie, il me demanda ce que j'étais venu faire par là, et comme je ne sais pas dissimuler, je lui dis le but de mon voyage ; sa figure s'allongea prodigieusement et il me dit que si je n'étais pas élève de Grignon, il ne me recevrait pas.
Ce moment de mauvaise humeur passé, il fut très-aimable et bientôt on monta pour dîner ; il me présenta à sa femme grande de six pieds neuf pouces et à sa fille, assez jeune encore. Ces dames me firent des saluts d'une raideur glaciale, ce qui me toucha fort peu.
Vers dix heures je me couchai harassé de fatigue ; à trois heures, je fus réveillé par le son de la cloche qui appelait les ouvriers au travail ; c'était Mr. Campo lui-même qui sonnait. Cependant je ne me levai qu'à cinq heures et, après avoir pris le café, nous allâmes faire une tournée en culture. C'est une ferme de près de 600 hectares de terres dont 300 environ sont labourables ; près de 150 hect. étaient emblavés en froment, un peu d'orge et un peu d'avoine, toutes ces récoltes magnifiques ; une grande partie était faite sur défriche.
Des terres, couvertes autrefois de broussailles et de jujubiers sauvages, plante épineuse au superlatif, avaient été défrichées, labourées, et ensemencées et sont maintenant couvertes de récoltes admirables. Mais ces défrichements ont coûté 300 frs l'hectare, et c'est à cause d'eux que Mr. Campo s'est brouillé avec son propriétaire ; celui-ci voulait marcher petit à petit tandis que le régisseur voulait marcher de l'avant ; il n'y avait donc pas moyen de s'entendre.
Il y avait aussi un peu de tabac que je n'ai pas trouvé beau, de même que du coton qui m'a semblé chétif. Un hectare de vigne, planté l'an passé je crois, est fort bien venu. Tous les labours se font par des chevaux et des mulets ; il y a un troupeau de 900 têtes ovines, quatre vaches à lait seulement, point de bœufs.
Le jardin est joli, arrosé par deux sources abondantes. Les bâtiments d'exploitation sont énormes ; ils ont coûté à l'État 200.000 frs (c'était autrefois un orphelinat). Les greniers et les magasins sont très-vastes de même que les hangars pour les animaux. La ferme est outillée comme pas une peut-être en Algérie et peu en France : chariots, calèche, fourgon pour chercher des vivres à Guelma, charrues, herses de Grignon, faucheuse, moissonneuse, semoir Garett, sans compter tous les menus outils ; une forge se trouve là pour réparer tous ces instruments. Il y a une jument pour le service du régisseur.
Les bâtiments sont construits sur les bords de la Seybouse et la propriété forme le fond de la vallée de sorte qu'on n'a pas de vue bien étendue. Il fait chaud et ce n'est pas trop sain ; cependant, je tâcherai de me procurer de la meilleure eau.
Je passai toute la journée avec Mr. Campo et, le lendemain matin, je partis pour Jemmapes. Je voulais voir en passant Mr. Vignier, l'ami de Mr. Lebas, qui m'avait donné des renseignements assez vagues sur Medjez-Amar. Je ne le trouvai pas, mais il revint vers dix heures de Guelma et fut l'amabilité même. Il dirige une propriété appartenant à sa famille : 1 200 hectares soit labourables, soit en oliviers et en broussailles. Il habite une petite maison bien aménagée ; une cour avec hangars reçoit le bétail, un jardin se trouve derrière ; malheureusement, une noria, destinée à alimenter d'eau toute la ferme, a tari. Il y a un troupeau de 800 bêtes à laine moins grasses que celles de Mr. Campo, et un certain nombre de bœufs. Mr. Vignier laboure avec des khamès arabes.
Je passai avec lui la journée du samedi et du dimanche ; causant agriculture, chimie, politique, administration, etc. etc. Dimanche, j'écrivis à Mr. Bella que j'étais disposé à accepter la régie, mais que Mr. Montariol[30], le propriétaire, devait tout d'abord bien me dire ce qu'il a l'intention de faire, s'il veut ou non dépenser encore de l'argent etc.
Lundi matin, je quittai un peu tard Mr. Vignier (qui est pianiste, soit dit en passant) ; je traversai un pays assez accidenté, les cultures alternant avec les oliviers et les broussailles. A onze heures, j'étais à Gastu[31] ou St. Augustin d'où je repartis pour Jemmapes après avoir déjeuné. En entrant dans la ville (ce n'est plus un village), je rencontrai Abdallah qui m'accabla de ouach haleks etc. etc. ; il me dit que Kaufmann, le filleul de Mr. Zill, était à la mort. J'y allai et, en effet, le pauvre homme me reconnut à peine pendant un moment ; il a une fièvre cérébrale accompagnée de jaunisse qu'il a prise à Tsmara, là où Mr. Lucy me voulait avoir pour régisseur.
Comme les piqueurs des Ponts et Chaussées donnaient une fête à l'un de leurs collègues et chantèrent et crièrent toute la nuit, je dormis fort mal et ne partis que tard le lendemain. Le soir j'arrivai fatigué comme un nègre à M'Chaïda, monté sur ma jument qui boitait des deux pieds gauches. Avec quel jouissance je respirais l'air pur de ma montagne !
M'Chaïda, 6 sept. 1863
Voilà sans doute ma dernière lettre de longtemps datée de M'Chaïda, j'ai reçu par le dernier courrier des lettres de Mrs Bella et Montariol qui acceptent les conditions que j'avais demandées, de sorte que je compte partir dans la nuit de lundi à mardi, pour coucher à Jemmapes et arriver mercredi à Medjez-Amar.
Je n'ai pas besoin de vous dire combien je regrette de quitter M'Chaïda, mon seul bien matériel sur cette terre ; trouverai-je d'aussi bons voisins que ceux que j'ai ici ? pourrai-je conduire la barque à ma satisfaction et à celle du propriétaire ? il y a là une foule de questions que le temps seul résoudra et Dieu seul sait comment.
Je regretterai surtout cette intimité fraternelle dans laquelle je vivais avec les Krell, et à présent d'autant plus que depuis quelque temps il y a un nouveau membre de la famille et que je suis avancé au titre d'oncle. Eux aussi me voient quitter avec regret. Qu'est-ce pourtant que la vie : on va, on vient, on se connaît et on se quitte ; c'est bien triste.
Mr. Terriggi voudrait également que je reste, que je fasse du bétail ou autre chose, que je crée, que j'imagine quelque chose, n'importe quoi, pour rester. Il est excellent, mais je vais tâcher de lui faire comprendre que nous autres pauvres mortels nous ne pouvons pas créer, nous ne pouvons que transformer, tout élèves de Grignon que nous soyons. Je pense que lui aussi, il ne peut pas créer le beau temps lorsque vient la tempête ; il peut résister à cette tempête avec un bon bâtiment mu par une puissante machine et qui a coûté quelques centaines de mille francs. Et encore font-ils côte quelquefois, comme par exemple le Sahel, sur lequel j'ai fait ma longue traversée et qui a échoué dernièrement sur les côtes d'Espagne, en perdant toute sa cargaison.
[1] « Couverture » par extension un « sac », fait de crin et de laine, que l’on fabrique en Algérie. Utilisé par les nomades pour le transport.
[2] Il s’agit de membres de tribus algériennes. Les grandes tribus se divisent en clans, qui se divisent en factions (smalas) et en sous-factions. Les noms sont souvent liés au territoire d’origine de ces tribus.
[3] Mauvaise chance persistante.
[4] Centre de colonisation créé par ordonnance du 9 septembre 1847, érigé en commune de plein exercice en 1861. Le service médical de colonisation remonte à l’arrêté ministériel du 29 décembre 1853 et sert à favoriser l’installation de médecins dans les centres de colonisation déficitaires en matière d’offre de soins. Les médecins coloniaux sont en premier lieu des médecins militaires et des médecins de la marine formés par le service de santé des troupes coloniales. Ils sont chargés d’assurer les soins gratuits aux indigents, la direction des infirmeries civiles, la visite des malades, les tournées périodiques dans chacun des centres de leur circonscription, la propagation de la vaccination, la délivrance de médicaments dans les localités dépourvues de pharmaciens et les rapports aux autorités sanitaires.
[5] Il s’agit du texte du poète allemand Karl Gerok, (1815-1890).
[6] Statut d'esclave ou d'ancien esclave affranchi, équivalent à celui de métayer. Le khamès reçoit théoriquement un cinquième de la production des jardins et ne possède ni la terre ni l'eau (Jean-Paul Cheylan, « Les oasis sahariennes à foggara : mutations sociales sous fortes contraintes écologiques », Mappemonde, 1990, n° 4, p. 44-48). Le terme khamès vient de khamsa qui signifie « cinq » en arabe.
[7] Ruoms : carton ondulé fabriqué près d’Aubenas (Ardèche).
[8] Jean-Christophe Matte, ancien militaire ayant pris une concession. Voir Annexe II.
[9] Il s’agit du nom savant de la punaise verte, ici employé pour désigner de façon péjorative les non-musulmans.
[10] Chapelets.
[11] Pratique consistant à partager de la viande et des abats provenant d’une bête achetée sur pieds à plusieurs.
[12] Sous-entendu « protestant ».
[13] Alfred Henri Krell. Voir Annexe II.
[14] Anne Henriette Lucie Clarisse Wehelmine. Voir Annexe II et plus loin l’évocation de son mariage.
[15] Terres domaniales en Algérie sous autorité d’un bey.
[16] Opéra-comique en trois actes du compositeur français Adolphe Adam (1803-1856).
[17] Mendiant. Terme napolitain.
[18] Réunion de tous les hommes d’un village qui juge et décide des affaires du village sans appel.
[19] « Quêteurs de science », étudiant lettré dans une école coranique.
[20] Charles Matte. Voir Annexe II.
[21] Voir ANOM, Etat civil, Registre des mariages, Philippeville, 1862, vue 66, mariage n° 77 : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=ALGERIE®istre=20805
Le 7 octobre 1862, mariage entre Alfred Henri Krell, propriétaire, né à Dresde (Saxe) le 25 septembre 1835, domicilié à M’Chaïda de droit, de fait à Philippeville, les parents consentant au mariage par acte notarié car domiciliés à Dresde ; et mademoiselle Anne Henriette Lucie Clarisse Matte, né à Landernau (Finistère) le 2 février 1839, sans profession, domiciliée à Philippeville, agissant libre dans l’exercice de ses droits. Un contrat de mariage a été passé devant Me Meunier, notaire à Philippeville. Les témoins, tous amis des futurs sont : Jules Lebas, secrétaire de sous-préfecture, âgé de 48 ans ; Nicolas Thériet, géomètre, âgé de 42 ans ; Théodore Fritz, propriétaire, âgé de 30 ans ; Alfred Lebas, employé des chemins de fer, âgé de 24 ans. Théodore Fritz domicilié à M’Chaïda, les autres à Philippeville.
[22] Initialement impôt coranique dû au sultan.
[23] Lokman, Loqman, Lukman ou Locman : grand fabuliste oriental, surnommé le Sage ; ses fables furent publiées par Epernius « Arabe - Latin » en 1615.
[24] Fritz est de retour sur sa concession après un séjour en France qu’il n’avait pas évoqué auparavant dans ses lettres. Ainsi la datation des événements est plus difficile à établir. Il est aussi compliqué de savoir combien de temps il a passé en France, toutefois la dernière lettre était datée deux mois plus tôt.
[25] Aucune indication pour découvrir qui est ce personnage. Il y a bien des Trumpf en Algérie (voir Etat civil, ANOM), originaires de Strasbourg d’après plusieurs actes, cultivateurs ou propriétaires, mais on les localise dans l’Oranais, dans la commune de Sidi Chami, plus tardivement (à partir de 1882). Une présence confirmée également dans l’Oranais par les registres militaires (ANOM).
[26] Chêne originaire de la péninsule ibérique très présent en Kabylie.
[27] Commune allemande dans les environs de Fribourg.
[28] Située à 20km à l’ouest de Guelma. « Hammam Meskoutine est une source thermale dont les eaux, provenant de la grande profondeur, sourdent à 95° de température (elles sont avec celles d’Islande parmi les plus chaudes au monde). Elles apparaissent en une dizaine de sources de fort débit (500 litres/seconde), qui sont très chargées en carbonate, qu’elles déposent à leur sortie. Aussi ont-elles construit au cours des âges, sur le site de Meskoutine, des formes étonnantes : de multiples pointements coniques de toute taille, correspondant aux anciennes sorties de sources, et une cascade pétrifiée de 8 mètres de hauteur sur un front de 400 mètres ». (M. Cote et E.B., « Hammam Meskoutine », Encyclopédie Berbère, 2000, 22, p. 3352-54).
[29] Colonie agricole créée en 1847 puis donnée en concession à l’Abbaye de Saint-Maurice (canton du Valais, Suisse) à partir de 1855 pour une durée de 20 ans. Les chanoines suisses s’occupent de l’organisation du village qui comprend également un orphelinat et doivent attirer dans la colonie des familles catholiques suisses. Il s’agit ici de faire contrepoids au projet de peuplement entrepris par Henry Dunant dans le cadre de la Société genevoise des colonies suisses de Sétif et qui concerne les familles protestantes. La concession sera rapidement abandonnée par les chanoines, en 1855.
[30] René Adolphe Montariol (1814-1883), négociant, propriétaire de concessions. Voir Annexe II.
[31] Bekkouche Lakhdar, Gastu pendant la période française.