Les grandes séries archivistiques

Du croisement de ces différentes analyses et de la richesse des fonds devraient surgir des éléments permettant de mesurer le niveau de fragmentation ou d’homogénéité de cette population européenne en train de naître et de se développer.

Une fois sur le sol algérien, comment ces Européens s’insèrent-ils dans la société ? Voit-on dans les générations suivantes, lorsque ces migrants ont des descendants, nés en métropole ou sur le sol algérien, des évolutions particulières ? Quelques grandes séries autorisent à dérouler les parcours personnels et professionnels pour « attraper » ces européens.

Évidemment, les besoins de l’encadrement de la colonie, qu’ils soient militaires ou civils, offrent des archives de recrutement et de carrière très conséquentes. Celles de la « santé » (série U des ANOM, SSA), de l’Instruction publique (série S des ANOM, F17 des AN) ou encore toutes les sous-séries concernant les personnels des administrations (série G du GGA par exemple), sont riches d’enseignements. Ces grandes séries présentent un intérêt supplémentaire qui est de couvrir la période coloniale presque entièrement.

Santé

Les fonctions de coordination des politiques de santé et d’assistance publiques sont exercées en Algérie par différents services au sein du Gouvernement général. Toutefois, dès 1830, sont implantés des hôpitaux militaires et des dispensaires sont créés ou par le Service de santé des armées ou par les missions religieuses afin de soigner les soldats mais aussi les colons qui commencent à s’installer. La santé devient rapidement un enjeu majeur, tant politique qu’économique, face à des taux de mortalité et de morbidité extrêmement élevés. Le service des médecins de colonisation assure l’essentiel des inspections et soins dans les premières années. Par arrêté gubernatorial du 16 avril 1883 est créée une 2ème section qui se charge de ce qui est encore un embryon d’administration de santé publique. Le traitement de l’assistance s’appuie essentiellement sur l’action des bureaux de bienfaisance, distincts entre Européens et indigènes et les hôpitaux civils dont le Gouvernement général assure la gestion du personnel, l’inspection et le financement.

À partir du début du XXe siècle se mettent en place les premières véritables mesures de santé publique, et l’offre s’élargit aux indigènes. Le Service central de l’Assistance publique gère le service médical de colonisation, l’assistance maternelle et infantile, le recrutement des infirmières visiteuses, la gestion des écoles d’infirmières, de l’école de sourds-muets, l’assistance aux vieillards, l’assistance aux familles nombreuses, les hôpitaux, les cliniques-infirmeries, les dispensaires-asiles, les consultations médicales gratuites et le recrutement des auxiliaires médicaux. Le Service central de l’hygiène publique et de la médecine préventive gère le service de protection de la santé publique, la lutte contre les épidémies, le service sanitaire maritime, l’Institut Pasteur d’Algérie et le service de lutte antipaludique. Les circonscriptions médicales se multiplient. Les différents centres de prise en charge des malades se répartissent de la manière suivante : groupe sanitaire mobile d’assistance, poste sanitaire, infirmerie, hôpital auxiliaire, hôpital régional, hôpital d’arrondissement et hôpital départemental. C’est à cette même époque que se généralisent les centres spécialisés (chirurgie, maternité, maladies infectieuses, psychiatrie). La Direction de la Santé publique et de la Famille est créée par arrêté gubernatorial le 26 septembre 1932.

La série U est conséquente. Elle est la compilation des archives de plusieurs services différents ayant eu en charge l’assistance et la santé. Les documents ont été conservés dans les magasins des archives centrales du Gouvernement général à Alger puis rapatriés en France, vraisemblablement entre avril 1961 et octobre 1962. Le contenu semble très partiel au vu des nombreuses missions exercées par ces services, bien qu’il soit difficile d’évaluer les lacunes. Il n’existe pas, par exemple, de dossiers sur l’enseignement médical en Algérie, que ce soit à la faculté de médecine d’Alger, à l’Institut de médecine coloniale ou encore à l’École d’infirmières de ParnetVoir fiche de présentation de la série U des ANOM par Clarisse Marguerretaz, étudiante-stagiaire de M2 d’archivistique à l’Université d’Angers, en charge du reclassement de la série (2020-2021)..

Le fonds permet ainsi de suivre la carrière des personnels de l’organisation sanitaire : de leur recrutement par concours à leur mise à la retraite. Les archives de l’organisation des concours sont en partie conservées dans ce fonds. Le fonds est composé essentiellement de dossiers de personnels européensC. Fredj, « Les médecins de l’armée et les soins aux colons en Algérie (1848-1851) », art cit. ; Claire Fredj, « Soigner une colonie naissante : les médecins de l’armée d’Afrique, les fièvres et la quinine, 1830-1870 », Le Mouvement social, 2016, vol. 4, no 257, p. 21‑45. Claire Fredj, « Des soignantes françaises au Sahara algérien (1893-1962) » dans Monique Vérité et Patrick Hervé (dir.), Des Européennes au Sahara du XIXe siècle aux indépendances, Paris, La Rahla, 2019, p. 163‑184. Claire Fredj, « Une présence hospitalière en territoire colonial : les Filles de la Charité en Algérie (1842-1962) » dans Matthieu Brejon de Lavergnée (dir.), Des Filles de la charité aux Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul (XVIIe-XXe siècle). Quatre siècles de cornettes (XVIIe-XXe siècle), Paris, Honoré Champion Editeur, 2016, p. 447‑474.: médecins de colonisation (sous-série 2U), médecins et personnels du service sanitaire maritime, personnels médicaux et administratifs des hôpitaux, personnels des écoles d’infirmières et personnels du service des enfants assistés (sous-série 2U). Chaque hôpital, maternité, sanatorium, préventorium ou asile psychiatrique possède un « dossier d’inspection » décrivant les travaux effectués, les modes de gestion, la situation financière de ces structures médicales et autres renseignements statistiques donnant un aperçu de l’administration hospitalière sur plus d’un siècle (sous-série 3U). Une partie importante des fonds est dédiée à la protection sociale et médicale, et en particulier autour des mères et des enfants (sous-série 5U) ainsi qu’à la bienfaisance et prévoyance sociales. On notera aussi l’intérêt porté à la sécurité sanitaire maritime et aux lazarets (sous-série 2U).

Ces fonds des ANOM doivent être mis principalement en relation avec ceux conservés au Service de Santé des armées qui possède des archives essentielles sur la médecine de colonisation, sur les personnels médicaux rattachés à l’armée et offrent des rapports d’inspection nombreux des hôpitaux militaires et civils.

Instruction publique

Une des grandes séries territoriales conservées aux ANOM est celle de l’Instruction publique du Gouvernement général (série S). Elle couvre la période 1839-1962. Une histoire longue dans laquelle il est indéniable que les « lois Ferry » ont modifié en profondeur le système qui prévalait avant en faisant toutefois perdurer une nette séparation entre l’école pour les Européens incluant éventuellement quelques indigènes et celle de la majorité indigèneKamel Kateb, « Les séparations scolaires dans l’Algérie coloniale », Insaniyat. Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, 2004, no 25‑26, p. 65‑100. Gilles Boyer et al. (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire : De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, Lyon, ENS Éditions, 2014..

La politique scolaire coloniale a été dès le début et sur la presque entièreté de la période aux prises avec une contradiction insurmontable : « scolariser, c’est acculturer mais c’est aussi éveiller les consciences et courir le risque de mettre en cause le rapport colonialAïssa Kadri, « Histoire du système d’enseignement colonial en Algérie » dans Gilles Boyer et al. (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire : De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, Lyon, ENS Éditions, 2014, p. 19‑39. ». En ce sens, les nouvelles dispositions législatives ont été largement attaquées au nom des intérêts du colonat et freinées dans leurs applications.

Dans la série S, le classement entre enseignement primaire élémentaire, primaire supérieur, secondaire, libre, puis enseignement supérieur permet de suivre tous les niveaux. On y retrouve les listes de personnels, les traitements, les titularisations ou les promotions. Les distributions de prix, les inspections, les listes des boursiers, etc., qui permettent de saisir les élèves. Des renseignements du même type peuvent aussi être trouvés dans la sous-série F17 aux Archives nationales. Il est aussi possible de suivre les liens qui se tissent entre les élèves, leurs parents ou les anciens élèves au travers des fonds consacrés aux associations et amicales autour de l’école.

Les cartons dédiés à l’enseignement supérieur permettent de voir naitre les différentes facultés et établissements d’enseignement supérieur. Ici sans doute plus que dans les filières moyennes, l’accès est quasiment fermé aux indigènes et la hiérarchie de la création des différentes filières reflète les priorités politiques dans la gestion des territoires algériens. C’est ainsi par exemple que la faculté de médecine est une des premières à être organisée avant les autres disciplinesPar un décret du 4 août 1857..

La sous-série 44S rassemble les listes des inscrits et des diplômés à l’Université d’Alger entre les années 1930 et 1962. Des listes d’élèves ou de personnels peuvent également être retrouvées dans la sous-série F17 aux AN ou encore dans les cartons des ministères de la Guerre et de l’Intérieur (F80).

Les personnels d’encadrement de la colonie

Les dossiers des personnels d’encadrement de la colonieOn peut se reporter à la série EE (Personnel colonial moderne) des ANOM pour repérer des dossiers de personnel ayant servi en Algérie un moment dans leur carrière jusqu’aux années 1880., toutes administrations comprises, peuvent être retrouvés dans la longue sous-série F80 avant 1870. Ensuite, l’intérêt de la longue série G, abstraction faite de 7G (Sûreté nationale), réside naturellement dans les dossiers de personnel qui couvrent la période allant de 1870 à 1956. Dans la sous-série 1G, on retrouve neuf versements différents qui totalisent plus de 7 500 cartons de dossiers de personnels sur la période (1870-1956). D’autres sous-séries sont dédiées aux personnels comme ceux de la police administrative (8G), du service pénitentiaire (10G), des cultes (12G) moins complète toutefois que la sous-série F19 aux AN sur les cultes en Algérie etc. Pour les grandes séries, Santé (U), Instruction publique (S), ou ministère des Affaires algériennes (81F), nombre de cartons sur la situation des fonctionnaires français à partir de l’entre-deux-guerres. On notera aussi dans la sous-série 3T du GGA des dossiers de personnels sur tous les officiers ministériels, ou encore en 10T, ceux des tribunaux et parquets d’Algérie.

Évidemment, nombreuses sont aussi les séries dédiées au reclassement des fonctionnaires rapatriés d’Algérie, aux ANOM comme aux AN de Pierrefitte ou Fontainebleau, dont les dossiers de reconstitution de carrière sont disponibles, avec les limites imposées à la consultation de ce type d’archives personnelles.

Des archives spécifiques peuvent renseigner sur les modalités de construction d’une élite colonialeClaire Laux, Francois-Joseph Ruggiu et Pierre Singaravélou (dir.), Au sommet de l’Empire; les élites européennes dans les colonies (XVI-XXe siècles), Bruxelles, Peter Lang, 2009. urbaine et sa diversité. Les sources non administratives (bottins, annuaires, généalogies) sont susceptibles d’aiguiller les recherches. Elles peuvent être associées aux listes des diplômés dans la série Instruction publique. Les cadres moyens et supérieurs peuvent être repérés dans les grandes sous-séries, 1G du GGA (personnels de l’administration centrale) et 81F pour l’administration générale et ses différents cadres. Les personnels politiques et syndicaux importants, les notables des communes peuvent être repérés dans les archives concernant les élections, surtout quand ils reçoivent des distinctions honorifiques (séries D des préfectures). Les archives des chambres de Commerce et des bourses du travail, comme celles de grandes banquesHubert Bonin, « Les banques et l’Algérie coloniale : mise en valeur impériale ou exploitation impérialiste ? », Revue française d’histoire d’outre-mer, 2009, no 362‑363, p. 213‑225. (Archives privées aux ANOM ou aux Archives nationales du monde du travail (ANMT, Roubaix)), les archives des chemins de fer (156AQ aux ANOM) qui donnent accès aux dossiers des administrateurs, à la composition des directions ainsi qu’à leur rémunération, ou encore pour la fin de la période, les archives de la Confédération nationale du patronat français d’Algérie aux ANMT, etc., doivent pouvoir indiquer quelles sont les élites administratives, commerciales et financières de l’Algérie. Les sources fiscales, quant à elles, sont assez précises avec, en particulier, les archives des contributions directes et des contributions foncières (1839-1946) (sous-série 1Q du GGA) ; les sommiers d’un certain nombre de communes (F80*).

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