Dmel-Bès-Bès
Dmel-Bès-Bès, 21 juin 1856
Je suis très-bien installé ici depuis deux jours, mais nous avons eu bien de la peine et des angoisses jusqu'à ce que mon lit et mes malles fussent arrivés. Un cheval portait la grande malle que j'avais vidée en partie, plus le lit, le matelas et la boîte à chapeau, que nous avions à passer par des chemins très-étroits, bordés de ravins très-profonds de sorte que nous craignions toujours de voir rouler le tout au fond du précipice. Nous n'eûmes heureusement pas d'accident ; maintenant mes livres sont sur une planche au-dessus de mon lit et tous mes autres effets ont amplement de place dans mes malles.
Ces jours nous avons pris deux hyènes dans un piège à fusil ; nous les avons préparées pour être empaillées de même que deux chacals. J'ai deux fois été la nuit à l'affût des sangliers, hyènes et autres bêtes féroces, mais sans succès.
Dernièrement les arabes vinrent prendre Mr. Zill pour estimer un dommage que des vaches avaient causé dans du blé ; je l'accompagnai et nous passâmes d'abord sur une haute montagne d'où l'on a une vue magnifique, puis nous descendîmes un coteau aride couvert de maigres broussailles. Le dommage était peu de choses ; nous l'estimâmes 20 frs et quand les deux partis furent réunis, Mr. Zill leur fit part de notre estimation ; alors les six ou sept individus réunis se mirent tous à parler en même temps : le plaignant disait que c'était trop peu et demandait 50 frs ; les autres satisfaits de notre jugement voulaient payer tout de suite et se décidèrent enfin à donner 30 frs, craignant qu'on ne les traîne devant le bureau arabe.
Avant de partir, on nous servit un cousscoussi excellent ; on sert ce mets sur un plat de la forme d'un pied de lampe ; chacun fait avec sa cuiller un trou dans le cousscoussi, on y verse du lait et chacun mange de son côté. Quand nous arrivâmes au gourbi des accusés, il fallut manger encore, cette fois du kessera (rfiss).
Je vis là pour la première fois faire la tonte à la manière arabe ; ils ont une vieille faucille et ils enlèvent la laine avec cela ; l'individu qui tondait enlevait de temps à autre un morceau de peau à la pauvre bête. Un bon mouton vaut ici 10 à 12 frs ; la peau avec la tête vaut un franc ; mais la laine ressemble plutôt au poil d'un chien qu'à toute autre chose.
Dmel-Bès-Bès, 2 juillet 1856
Il est 4h30 du matin ; pas le plus léger petit nuage au ciel, le soleil va se lever bientôt, la température est délicieuse, peut-être même trop élevée pour cette heure. On n'entend encore nul bruit sauf de temps en temps le roucoulement d'un pigeon ramier ou le chant d'un coq arabe auquel les nôtres répondent à pleine voix. Royer fait du feu pour le café que nous prenons noir et dans lequel on trempe des tranches de pain grillées avec du beurre, s'il y en a.
Que je voudrais donc pouvoir vous envoyer un peu de notre beau temps invariable, de la bonne chaleur que nous avons depuis quelque temps. Il y a souvent de gros nuages, mais il est rare qu'il tombe de l'eau ; les brouillards sont très-fréquents et souvent lorsqu'ils passent sur la crête des montagnes, je croyais voir la fumée d'une forêt en feu.
Sans la paresse des arabes, la récolte serait terminée ; on ne peut pas se faire une idée de cette paresse ; s'ils moissonnent pendant cinq heures par jour, ils croient avoir fait une grande corvée.
C'est un peuple qui aime beaucoup les procès, les disputes quelconques et le grand mot qu'ils se disent à toute occasion est : « je l'accuserai ». Dans notre tribu, les gens ne valent naturellement pas mieux, ce qui nous est fort utile ; ces éternels procès nous font littéralement faire notre beurre. Comme Mustapha[1] est le grand conseiller de tout le monde, comme par le commandant il peut tout ce qu'il veut, on vient souvent le prier de faire ci de faire cela et l'accompagnement obligé d'une pareille requête est, soit un petit pot de beurre frais, souvent il est vrai plein de poils de chèvre ou de vache, soit du lait de beurre, soit, mais bien plus rarement, du miel ou du lait frais. Ces deux dernières choses nous sont généralement apportées par un jeune homme que Mr. Zill a arraché aux galères où un cheik voulait l'envoyer innocemment.
Depuis quelque temps, nous vivons in floribus[2], dernièrement nous avions un civet et un rôti d’un lièvre que j'avais tué ; hier nous avions un gigot de bouc qu'Abdallah nous avait donné. Mr. Zill le mit à la broche, c. à d. à un bâton planté sur deux fourches ; je n'aurais jamais cru que du bouc pût être aussi bon.
Dmel-Bès-Bès, 10 juillet 1856
Nous avions eu trois jours d'affreux sirocco pendant lesquels une mauvaise dent me fit bien souffrir, aussi lorsque samedi le vent chaud ne souffla plus, je me décidai à aller à Jemmapes qui est à quatre lieues d'ici. Il faisait bon marcher, quoiqu'un peu chaud, mais ma dent me faisait si mal que je ne prenais plaisir à rien. J'allai trouver le docteur et sitôt que la dent fut extraite, toute douleur avait disparu. Ce docteur, assez jeune encore et très-gentil, est obligé de faire toutes sortes de métiers ; il prépare une grande partie de ses médicaments lui-même. Il a trois chambres dans sa maison ; d'abord une espèce de laboratoire où se trouvaient entassés de magnifiques pavots, comme jamais je n'en ai vus et qu'il avait cultivés lui-même ; puis vient sa chambre à coucher et à extraire les dents, où se voit aussi une maigre bibliothèque, enfin la troisième chambre était pleine d'herbes qui parfumaient toute la maison.
Je m'en retournai au Dmel-Bès-Bès (ce qui signifie « hauteur du fenouil »), la joie au cœur d'être débarrassé de mon mal ; en route, je rencontrai une bête très-bizarre qu'on appelle Prie-Dieu[3] ; on trouve aussi beaucoup de ces grands squelettes appelés Blattes. C'est une très-jolie bête, généralement d'un vert tendre et ayant des pattes d'un brun clair ou vertes aussi.
Le sirocco est extrêmement énervant et, sans la brise de mer qui nous apporte de temps en temps une bouffée de fraîcheur, nous étoufferions. Je le supporte du reste très-bien, mieux que maître Royer qui, dès qu'il fait un peu chaud, dit : « Pfff, quel sirocco ! » et puis il s'en va faire la lessive.
C'est une grande ressource pour lui ; un travail qui ne fatigue pas ; on est à l'ombre, près de l'eau, les arabes vous tiennent compagnie et la conversation va son train. Mr. Zill et moi nous rions souvent des petits moyens que Royer emploie pour m'endosser un travail quand il fait chaud ou pour ne pas aller au piège lorsqu'il fait déjà un peu sombre, car il est très-peureux.
Au commencement, je n'allais au piège qu'armé de mon fusil parce que Royer m'avait dit : « prenez bien garde, il pourrait y avoir une panthère blessée » ; mais comme je vis que nous ne prenions que des hyènes qui furent tuées presque sur le coup, que du reste je ne craignais pas ces bêtes, j'allais au piège sans éprouver la moindre crainte.
Dmel-Bès-Bès, 21 juillet 1856
C'est étonnant comme on s'habitue à tout ; il me paraît singulier parfois quand j'entends des personnes nouvellement arrivées de France s'écrier à la vue d'un de nos arabes : « mais voyez donc comme il est sale, voyez donc ce pauvre enfant qui est presque nu ! » Toute leur saleté et leurs vêtements plus ou moins primitifs ne me font plus d'impression : quand je vois la petite Peicha, ou Chamisa, ou les différents petits Mahomet, c'est tout comme si je voyais quelqu'un des enfants de paysans de Hangenbieten[4] avec la différence que je ne comprends souvent pas ce qu'ils me disent ; ils ont pourtant une façon de parler que je comprends, une gentillesse que les enfants disent à tout moment, c'est de vous souhaiter le choléra. Quand on dit à une petite fille : « Peicha, arrive vers moi », elle répond « prends le choléra » et elle se sauve pour revenir peu à peu, se re-sauver, revenir encore et faire ce manège pendant quelque temps, jusqu'à ce qu'un morceau de sucre la décide à venir pour de bon et à se laisser embrasser.
Si vous nous aviez vus ces jours, Mr. Zill et moi ; avec une brouette, nous allions à la recherche de bouses de vaches, et pour quoi faire ? Pour raccommoder la maison qui avait des trous de tous côtés. Il fallait donc du mortier et celui-ci se fait avec la susdite substance, mêlée de terre glaise, de paille hachée et d'eau. Nous avons travaillé pendant toute une journée à ramasser ces différents matériaux ; quand le mortier fut fait, ce qui est le travail le plus fatiguant, arriva Meister Hämmerle[5] (comme Mr. Zill appelle Royer), et nous aida à boucher les différents trous. Il m'exploite bien et me laisse très-souvent arroser seul, sous prétexte qu'il lui faut préparer le manger des poules ; ou bien lorsqu'il va à la carrière, qui est à trois quarts de lieue, pour vendre quelques pommes d'amour, il lui faut six heures. Une autre occupation qu'il m'abandonne, c'est de laver la vaisselle.
Dmel-Bès-Bès, 8 août 1856
Dimanche dernier, je descendis à un endroit appelé les étangs pour tâcher de tuer un sanglier, car la viande commençait à devenir rare au logis ; j'entendis un troupeau de sangliers qui s'en allait en trottant et je les contournai afin d'être contre le vent. Puis je me mis à l'affût derrière un arbre et comme ils tardaient à venir, j'entrai dans un épais fourré de ronces et de broussailles où j'entendais remuer de temps en temps. Tout à coup, j'entendis à quelques pas de moi grogner et souffler comme font les chats lorsqu'ils sont fâchés, seulement un peu plus fort. Cela doit être une panthère ou une lionne me dis-je et je me retirai lentement, le doigt sur la détente de mon fusil et prêt à me défendre. Je n'osais entrer dans le fourré ; je me couchai par terre dans quelques roseaux et j'attendis. Mais il ne vint rien et je m'en retournai à la maison où Mr. Zill me dit que j'avais probablement entendu un vieux sanglier.
Vous faîtes des bouquets, gens heureux que vous êtes ! Nous n'avons ici que quelques fleurs bien clairsemées et encore sont-ce généralement des chardons ou de la chicorée sauvage. J'ai vu dans un ravin bien humide une très-belle fleur violette qui doit être une espèce de campanule ; on trouve aussi de temps en temps un pied d'alouette. Ce qui du reste compense le manque de fleurs, c'est l'abondance de fruits ; nous avons de bonnes figues, d'excellentes pastèques, des abricots, des raisins, des poires, et des mûres sauvages bien succulentes et douces.
Notre ferme commence un peu à se monter ; un arabe auquel Mr. Zill a rendu un grand service vient de nous apporter une charmante petite chevrette brun foncée à longues oreilles pendantes et à long poil, un autre arabe nous en a aussi promis une de sorte que bientôt nous boirons du lait de chèvre.
Dmel-Bès-Bès, 15 août 1856[6]
J'ai parlé à Mr. Zill pour cultiver son bien à moitié ; il fournirait la moitié du bétail etc., moi la moitié ; moi je labourerais, je sèmerais etc. ce que je pourrais et les produits seraient également partagés. Il y a peu de fermes situées aussi avantageusement que celle-ci ; nous sommes un peu élevés, par suite le climat est bien moins chaud et plus sain qu'en plaine ; en outre, la mer rafraîchit l'air par la brise qu'elle nous envoie ; nous avons une excellente source d'eau fraîche été comme hiver. De plus, nous ne sommes nullement embarrassés pour la vente de nos produits ; la forêt fournira encore longtemps la viande, les arabes le beurre et les œufs.
Dmel-Bès-Bès, 24 août 1856
Hier, pour la première fois depuis près de quatre mois, nous avons eu un peu de pluie ; est-ce le tremblement de terre qui nous l'a amenée ? Il fut assez violent, surtout une secousse qui eut lieu vendredi à midi ; elle dura assez longtemps ; tout notre gourbi en tremblait, et Mr. Zill et moi qui venions de balayer, nous nous approchâmes instinctivement de la porte ; à l'extérieur, les secousses furent bien moins sensibles.
Les arabes disent que cela provient des coups de corne que donne le taureau qui porte la terre sur sa tête, et ils se sont tous mis à réciter leur profession de foi.
A Philippeville, le tremblement de terre a occasionné toutes sortes de dégâts : le clocher de l'église est tombé, le bel hôtel du commandant supérieur est lézardé dans tous les sens, d'autres maisons toutes neuves sont également lézardées ; on campe dans les rues de peur que cela se renouvelle.
Dernièrement, j'ai dîné chez un des entrepreneurs des carrières de Filfila et, après dîner, il m'a fait voir toute l'exploitation. On extrait plusieurs qualités de marbre tels que statuaire, bleu turquin etc. etc. ; on détache les blocs soit à la mine, soit avec des coins comme faisaient les Romains dont les travaux laissent des traces très-nombreuses ; on dirait qu'en certains endroits le marbre n'est entaillé que depuis hier et cependant plus de dix siècles peut-être se sont écoulés depuis. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'on ne peut retrouver trace de route par où les Romains auraient pu évacuer leurs blocs, et cependant ils ont dû en exploiter passablement car il y un petit vallon qui est complètement creusé. Actuellement, on écoule les marbres en partie par un plan incliné, en partie par une belle route que la compagnie a fait faire et qui conduit jusqu'à une petite anse de la mer, qui plus tard sera peut-être arrangée en port.
Il y a quelques jours notre Cheick Abdallah a manqué être dévoré par une panthère : il gardait, la nuit, le sorgho pour empêcher les sangliers de le dévaster ; il en blessa un qui se mit à crier et à souffler à tel point qu'il attira une panthère qui s'approcha à grands bonds. Abdallah, qui n'avait pas rechargé son fusil, la chassa cependant hors du sorgho et se retira vite pour recharger ; à peine fût-il de retour qu'il entendit de nouveau la panthère qui ramenait le sanglier dans le sorgho, et le lendemain il s'aperçut qu'elle s'était battue à l'endroit même d'où il avait tiré le sanglier. S'il avait fait clair, il aurait sans doute tiré la panthère.
J'ai mangé il y a quelque temps pour la première fois des figues de barbarie ; c'est un excellent fruit, bien doux et rafraîchissant et qui a un goût et un parfum d'abricot.
Dmel-Bès-Bès, 10 sept. 1856
J'ai une grande nouvelle à vous annoncer, c'est que maître Hämmerle est parti ; il n'a pas pu s'arranger avec M. Zill lorsqu'il s'est agi de régler leurs affaires de sorte que lundi dernier, nous avons été délivrés d'un cauchemar qui nous pesait depuis longtemps. Aussi nous sommes si heureux, si heureux !
Cependant mon travail s'est passablement accru par le départ de Royer ; j'ai tout le jardin à soigner et à arroser, à m'occuper d'un cheval, et à préparer la nourriture aux poules. Mr. Zill m'aide autant qu'il peut, mais voilà plus de trois semaines qu'il est malade d'un très-fort accès de fièvre et de palpitations.
Il y a quelques jours, en l'honneur de Mr. Bögner, pasteur, nous avons fait du punch, le premier qui ait jamais été bu au Dmel-Bès-Bès.
J'étais allé en ville mardi il y a huit jours pour y toucher de l'argent, et j'y trouvai Mr. Bögner ; je passai la journée avec lui et, le soir au café, nous trouvâmes Albert Weber[7] qui est aide major chirurgien, et la soirée se passa très-agréablement. Pendant la nuit nous sentîmes une légère secousse de tremblement de terre et le lendemain, après avoir cherché en vain un mulet, nous chargeâmes le porte manteau du jeune pasteur sur mon cheval et nous mîmes en route pour le Dmel-Bès-Bès ; nous y arrivâmes sans encombre sauf une petite course à l'attrape que nous fit faire le cheval à notre première étape. Mr. Bögner passa deux nuits chez nous et se plut beaucoup ; c'est le soir du deuxième jour que je proposai de faire du punch avec mon mauvais thé, un reste de citron et, faute de rhum, du cognac ; nous passâmes ainsi la soirée très-gaiement.
Le lendemain matin, Mr. Bögner et moi, nous nous mîmes en route pour Aïn-Mokra où nous pensions trouver une occasion quelconque pour Bône. Le temps était couvert, lourd et chaud ; le chemin ennuyeux passant par des dunes qui ne nous laissaient aucun horizon ; nous avions fort peu de vivres mais heureusement nous pûmes acheter d'un arabe un melon et une pastèque qui nous désaltérèrent car, sur toute la route, nous ne trouvâmes point d'eau. Enfin, après bien des transes de nous être égarés, nous atteignîmes Aïn-Mokra à la tombée de la nuit. Le lendemain, je me séparai à regret de mon compagnon qui avait trouvé un mulet pour continuer son voyage, tandis que moi je m'en retournai tout seul non sans avoir garni mes poches de pain et d'un reste de poulet.
Je causai un peu avec un arabe qui passait là avec sa femme ; elle était jeune, propre et assez jolie et me comprenait bien mieux que son mari ; celui-ci me demanda entre autres s'il devait la tuer ; je répondis que, s'il le faisait, je le conduirais fi habs frança, c. à d. aux galères, ce qui fit bien rire sa belle moitié.
Un peu plus loin, je m'étais assis pour me restaurer quand passèrent des arabes à cheval et leurs femmes à pied ; l'une de ces dernières dit en passant : mangearia bezef (à manger beaucoup) ! Et je la rendis heureuse en lui donnant un morceau de pain. L'arabe à qui nous avions acheté la pastèque, quand il me vit repasser, me donna une jolie pastèque et ne voulut même pas prendre de pain en échange ; c'est que je lui avais dit la veille que j'étais le neveu de Mustapha[8], ce qui est une grande recommandation. J'arrivai enfin le soir assez fatigué au Dmel-Bès-Bès.
Dmel-Bès-Bès, 21 sept. 1856
Avant-hier, en travaillant au jardin, j'entendis tout à coup un coup de feu dans la direction de la carrière ; je crus que c'était un arabe qui avait tué un sanglier et je me réjouissais déjà du régal que nous ferions quand j'entendis Mr. Zill qui m'appelait. Je montai vers le gourbi où je trouvai assis un arabe qui avait l'air bien effrayé. Voici l'affaire, me dit Mr. Zill, cet arabe vient d'échapper belle à une tentative d'assassinat ; voyez dans son burnous six trous de balles.
En effet, on venait de lui tirer un coup de pistolet chargé des six balles ; elles avaient par miracle toutes passé par son burnous et sa chemise, mais pas une ne l'avait touché. L'assassin avait été reconnu par l'autre qui s'était retourné au moment où le coup fut tiré. On envoya immédiatement chercher l'accusé à qui on dit, lorsqu'il arriva : « - C'est toi qui tues les gens sur la grande route ? - Moi ? Comment ? Je n'en ai pas connaissance » ; et, avec un front imperturbable, il nia la chose.
Cependant, par les informations prises, il est plus que probable que c'est lui, d'autant plus qu'il est ennemi juré du premier qu'il soupçonne avoir eu des relations avec sa femme. Cette dernière s'était sauvée le jour de l'affaire parce que son mari la battait souvent et avait menacé de la tuer ; son mari ayant appris son évasion, se mit à sa poursuite, armé d'un pistolet et c'est alors qu'il rencontra son ennemi mortel auquel il tira les balles destinées à sa femme.
Ce sont là des études de mœurs, dont parfois nous avons des échantillons ; dans toutes ces affaires perce une immoralité profonde, qui est en grande partie la suite de leur religion ou des habitudes reçues chez eux. Par exemple, il était autrefois reçu qu'on pouvait tuer sa femme quand on voulait et sans que cela eût d'autre suite que peut-être une guerre entre les deux familles.
J'ai assisté l'autre jour à une circoncision ; le garçon à qui l'on fit cette opération est un gentil garçon que j'aime bien. Il y avait une grande assemblée de parents et d'amis auxquels on servit du kessera nageant dans la graisse, après nous avoir donné de l'eau pour nous laver les mains et une peau de veau pour les essuyer. Le vieux père Abd-el-Melk fit l'opération avec un vieux rasoir, après quoi le gamin jeta deux œufs frais à la faîtière du gourbi et dit : « Mustapha, maintenant donne-moi de la poudre et je tirerai des coups de fusil tout comme un autre rajel (c. à d. homme) ».
Dmel-Bès-Bès, 5 oct. 1856
Nous avons un bourricot appelé Sidi, c. à d. Monsieur, qui est un peu enfant gâté mais notre grand favori. Toute la journée, lorsqu'il ne travaille pas, il se promène avec les chevaux d'Ali et de Taïeb, ses grands amis, et le soir il vient devant la porte demander à grands cris son litre d'orge.
Depuis quelque temps nos poules ont été affreusement décimées par un chat sauvage ; nous avons ainsi perdu trois des plus belles poules et un coq arabe et, de quinze poulets sardes, il ne nous en reste plus que trois ; c'est qu'il n'y a pas seulement le chat, mais aussi les ratons, les éperviers, les aigles et la femme d'Ali qui en sont très-friands. Cette dernière est rapace comme on ne peut pas se le figurer ; toutes ces belles poules arabes allaient pondre chez elle et jamais elle ne nous a donné un seul œuf.
A mesure que je fais des progrès en arabe et que, par suite, je comprends mieux les cent et une affaires qui sont journellement portées devant Mr. Zill, je méprise le peuple arabe de plus en plus. Ils mentent avec une assurance qui fait dresser les cheveux ; ils sont rampants, d'une rapacité honteuse, d'une barbarie envers leurs femmes qui me révolte chaque fois davantage lorsque j'en apprends un nouvel échantillon.
Dernièrement vers le coucher du soleil, Mr. Zill et moi nous étions dans le gourbi quand nous entendîmes une voix de femme s'écrier : « c'est ici, Mr. Zill ? » ; nous nous précipitâmes hors du gourbi et Mr. Zill aida à descendre de cheval à une charmante demoiselle, coiffée d'un grand chapeau brun et qui nous dit que son père et le secrétaire de mairie la suivaient de près. Nous passâmes une soirée très-agréable et ce fut certes la demoiselle qui en fut le principal charme : elle aime les fleurs, connaît les Bella[9], aussi un peu l’Alsace et Baden, parle un mauvais allemand et n'a qu'un défaut, celui de s'appeler Aglaïe. Ces personnes avaient eu l'intention de passer la nuit chez nous, mais ils préférèrent pourtant aller à la carrière.
Devinez quel individu nous avons engagé pour nous aider dans nos travaux – un négro avec sa femme et un charmant petit négrillon ; nous lui donnons quelques sacs de blé par an, il peut prélever du jardin ce qu'il lui faut pour son ménage. C'est un fameux bûcheur ; sa femme est malheureusement presque aveugle ; son moutard est un charmant petit enfant noir comme du jais. Le nom du nègre est fort poétique : Riekhan, c. à d. buisson de myrte.
Nous avons déjà de fort belles journées d'automne, fraîches, claires, mais le soleil est chaud ; il n'y a pas ici cette triste chute des feuilles, par contre nous n'avons pas non plus cette variété de paysages produite par le changement des couleurs des forêts. Mais nos montagnes ont souvent un coloris comme vous ne pouvez pas vous en faire une idée et qui, représenté en peinture, serait décrié comme exagéré et mensonger ; du reste, il serait difficile de lui donner la transparence éthérée que présentent ces paysages au coucher du soleil.
Dmel-Bès-Bès, 15 oct. 1856
Si dimanche soir, vers les six heures vous aviez demandé à un somnambule ce que je fais, il vous aurait dit à peu près ce qui suit :
Il fait nuit, mais la lune, cachée parfois par d'épais brouillards, éclaire la contrée. Cinq hommes marchent assez rapidement les uns derrière les autres dans un sentier étroit raboteux, serpentant par un bois de lièges le long d'un coteau rapide. En tête marche un arabe, il n'a que sa longue chemise, un bonnet grec et son long fusil sur l'épaule ; il parle à haute voix avec le troisième homme, arabe aussi, armé d'un fusil de chasse français. Le deuxième marche en silence ; il a une grande barbe grise, une carnassière, un fusil de chasse dont un canon est carabiné[10], et chargé à balle : c'est Mustapha. Puis vient un jeune homme, il a les cheveux en hérisson, une barbe peu fournie, un chapeau de feutre, de grosses bottes ; il est également armé d'un fusil chargé et, dans sa ceinture, se trouve un pistolet à balle forcée ; il marche en silence mais il pense à vous – vous le connaissez. Suivent deux arabes : Taïeb, causant beaucoup, et Abdallah, silencieux comme la tombe et qui ferme la marche.
Vous auriez demandé : mais où vont-ils ainsi ? Et la réponse eut été : ils rentrent chez eux ; et d'où viennent-ils ? De la chasse au lion. Voici ce qui était arrivé : dans la nuit de samedi à dimanche, Taïeb fut réveillé par son cheval attaché près de la porte de son gourbi et qui donnait tous les signes d'une grande frayeur ; l'arabe se lève, prend son fusil et sort pour voir ce que c'est : ce ne sont rien moins que deux lions qui se trouvent à une quarantaine de pas à guetter le cheval et un bœuf qui était sorti du parc. Taïeb se glissa derrière un gros chêne, ajusta les lions mais les manqua parce qu'il ne faisait pas bien clair. La balle frappa à quarante centimètres de la bête qui jugea à propos de s'enfuir au plus vite avec son camarade.
C'étaient deux jeunes lions et cependant je n'aurais pas pu couvrir les traces avec ma main ; nous ne songeâmes plus à la chose pendant la journée, mais en rentrant d'une visite à notre nouvelle maison nous vîmes les femmes attroupées et causant. Les gamins accoururent pour nous dire que Taïeb était parti depuis le matin pour voir après les chevaux au Menèjer ; on vient d'entendre deux coups de fusil à cet endroit ; Ali s'y est déjà rendu.
Mr. Zill me dit alors : « - Ils sont aux prises avec les lions, je vais y aller avec Abdallah ; vous allez faire des tomates... - Je ne ferai pas de tomates, j'irai avec vous ; croyez-vous que je vais être le seul à rester ? - Vous serez mangé, mon cher et je ne voudrais pas pour... - J'irai, et si je suis mangé, tant pis ». Et nous voilà partis pour le Menèjer qui est un petit plateau cultivé, entouré de toutes parts de bois et de hautes broussailles. Arrivés là, Abdallah qui nous avait précédé nous fit signe d'arriver vite, et les gamins qui nous accompagnaient pour ramener les chevaux, nous dirent : « Abdallah a vu les lions dans ce jardin de figuiers, ils sont entrés dans cette broussaille ».
Nous marchons droit sur la broussaille en question, le fusil armé. Mr. Zill en tête, plein d'ardeur et sans peur, moi je le suis, le cœur battant, l'œil au guet. Nous suivions ainsi pendant quelque temps un sentier étroit par d'affreuses broussailles à épines quand, tout à coup, Mr. Zill s'arrête, met un genou à terre et regarde sous les broussailles. « - Vous n'avez rien entendu, me dit-il en se relevant ? J'ai entendu les lions ; ah, s'ils avaient donc pu se trouver dans ce fourré, j'aurais parfaitement pu les tuer ». je n'avais rien entendu et nous montâmes une pente extrêmement rapide pour arriver au haut de la montagne d'où l'on pourrait découvrir les ennemis de loin. Nous trouvâmes là-haut Ali et Abdallah, qui n'avaient pas été plus heureux que nous. Taïeb avait trouvé les chevaux bien loin du Menèjer et le cheval d'Ali avait des égratignures sur la croupe et les cuisses ; notre bourricot avait également une égratignure sur la croupe mais il avait pris le bon chemin et était rentré chez nous au grand galop. Taïeb n'avait tiré les deux coups de fusil que par fantaisie et les lions s'étaient sauvés au-delà des montagnes. Bientôt Taïeb vint nous rejoindre, et trempés de sueur nous nous remîmes en route pour rentrer car la nuit était tombée. Il est fort probable qu'un de ces jours nous aurons encore la visite des lions, aussi ne dormons-nous guère que d'un œil.
J'ai donc été à la chasse au lion, et à une chasse comme rarement on la fait ; il n'y a peut-être à cinquante lieues à la ronde que notre Jemah qui ait le courage de courir ainsi après un couple de lions, comme si l'on courait après un lièvre ou un sanglier. Généralement, on fait un bon nid sur un arbre assez élevé, près d'une bête abattue par le lion et l'on y attend tranquillement qu'il revienne et qu'il soit bien à portée.
Notre troupeau de chèvres s'est encore accru de deux têtes, de sorte que nous avons quatre chèvres. Royer nous a envoyé un joli petit chien de chasse, très-gai, qui aime beaucoup s'amuser avec les poules et se coucher sous le poêle, même dedans lorsqu'il n'est pas trop chaud.
Dmel-Bès-Bès, 20 oct. 1856
Vous demandez des détails sur la concession de Mr. Zill : elle a une étendue de 48 Ha 72a 20ca. C'est un polygone irrégulier, situé sur une montagne, plus ou moins entrecoupé de ravins et pour la majeure partie incliné vers le midi. Elle se compose de bois de chênes-lièges, de terres arables et de jardins. A peu près 25 à 28 Ha sont des terres labourables, 10 ares de jardins, le reste des bois. Les terres labourables ont été cultivées par les arabes et forment de grandes clairières que ce peuple se procurait en mettant le feu au bois. La terre y est généralement bonne ; souvent il y a des affleurements de rochers qui en rendent la culture difficile ; il y a en général beaucoup de pierres que l'on enlèvera peu à peu ; le sous-sol est presque partout une argile assez maigre et ferrugineuse.
Les bois se composent de chênes-lièges de tous les âges et plus ou moins bien venants, et sous ces mêmes bois se trouvent des broussailles de grandes bruyères arborescentes, d'arbousiers et de myrte. Nous n'avons que fort peu d'endroits où les chênes soient si clairsemés qu'on puisse les considérer comme terrains vagues. On a l'habitude de dire ici : il s'est couché dans la broussaille, les bêtes sont allées dans la broussaille, parce que, dans les parties les mieux boisées, la broussaille n'en est pas moins forte et souvent inextricable.
Nous ne cultiverons que la surface que nos moyens nous permettent de soumettre à la charrue ; les arabes feront les céréales, moi je cultiverai le reste et le négro soignera le jardin. Si nous voyons que les arabes travaillent bien, nous n'emploierons qu'eux ; si faire se peut, nous ne voulons pas de main d'œuvre européenne qu'il est presque impossible de se procurer ; en outre, ces gens sont généralement vagabonds et grossiers et se font payer très-cher.
Dmel-Bès-Bès, 4 nov. 1856
Aujourd'hui, après bien des journées de pluie, il a fait beau de nouveau et j'en ai profité pour aller faire une promenade à un endroit où il y a beaucoup d'arbouses qui devront nous fournir cidre et vinaigre. C'est sur le versant d'une hauteur d'où l'on a une vue demi-sphérique des plus belles : on y voit la mer, Filfila, les environs de Philippeville, Jemmapes, les montagnes du côté de Constantine, le lac Fetzara, l'Edough[11] près de Bône, le Cap de Fer, bref c'est un des plus beaux points de vue dans notre voisinage.
Dernièrement, en allant à Jemmapes, nous couchâmes chez le cheikh de la plaine ; quand nous nous approchâmes de la maison, lui et des parents vinrent à notre rencontre et nous firent les salutations ordinaires, répétées je ne sais combien de fois. On nous fit asseoir sur une natte où l'on causa jusqu'à la tombée de la fraîcheur, puis on nous pria d'entrer dans le gourbi où l'on nous prépara une place sur une partie élevée.
La femme du cheikh était assise près du feu et aidait à son cousin à découper deux poulets qu'on mit bouillir dans la marmite au-dessus du cousscoussi qui fut cuit à la vapeur des poulets.
Cette femme fit tout avec beaucoup d'agilité ; elle a aussi magnifiquement construit son gourbi, l'a embelli de toutes sortes d'ornements que je n'ai pas encore rencontrés dans d'autres gourbis. C'était simplement de petits zigzags en terre glaise sur un des murs où se trouvaient les vases en terre glaise renfermant le blé, mais cela témoignait du goût et ces femmes en ont d'ordinaire si peu.
Pendant que je faisais ces observations, le cousscoussi était prêt et on le servit avec une douzaine d'œufs durs et les deux poulets que le maître de la maison nous déchiqueta avec les mains. Je mangeai de bon cœur quoique le cousscoussi sentît un peu le beurre rance, et que cela me parût singulier de manger seul avec Mr. Zill tandis que les autres nous regardaient faire. Quand nous fûmes rassasiés, le cheikh et ses amis mangèrent le reste et l'on prépara de nouveau du cousscoussi ; cuit cette fois à la vapeur de viande de bouc gras. Pendant que cette deuxième entrée cuisait, les hommes firent leur prière, très-longue, souvent à moitié chantée d'un ton nasillard ; Mr. Zill dormait et moi je tâchais de saisir par ci par là un mot de leur prière. Lorsqu'elle fut terminée et le bouc cuit, on réveilla Mr. Zill et il fallut encore manger ; les restes passèrent de nouveau aux arabes et de temps en temps on jetait un os à la femme qui le rongeait en se cachant autant que possible, car il est inconvenant que les femmes mangent devant les hommes. Le lendemain, avant notre départ, il y eut encore du cousscoussi.
Dmel-Bès-Bès, 10 déc. 1856
Voici comment jusqu'à présent s'est annoncée la mauvaise saison : supposez une belle journée de fin avril ou commencement de mai ; il ne fait ni trop chaud ni trop frais, les papillons voltigent – en petit nombre, il est vrai – mais tout respire un air de printemps. Ce temps délicieux par lequel nous avons des vues magnifiques sur les montagnes n'a été interrompu que par quelques journées de pluie, un peu de neige et de grésil accompagnés d'un vent très-violent et d'orage. Pendant quelque temps, les montagnes vers Constantine étaient couvertes au sommet de neige, mais depuis huit jours elle a complètement disparu.
Dmel-Bès-Bès, 20 janv. 1857
Voilà bientôt un mois qu'il ne cesse guère de pleuvoir ; des endroits secs en été comme de la cendre, sont devenus des lits de petits torrents, partout des sources sortent de terre gros comme le bras. Si le ruisseau qui passe par notre jardin avait le même volume d'eau en été, nous pourrions irriguer je ne sais combien d'hectares.
Notre Riekhan est un très-bel homme ; il a des traits très-réguliers et sa petite fille qui a un an ½ est une charmante enfant. Elle a de magnifiques yeux noirs, un nez très-fin, une petite bouche et des lèvres nullement saillantes ; elle est plutôt brun foncé que noire. Son petit frère, musulman comme tous les nègres de ce pays, a comme elle la tête rasée, avec une petite houppe seulement, appelée gandouche, sur le haut de la tête.
La viande de porc-épic est excellente ; lorsqu'on ne veut pas empailler la peau, on les plume comme des oiseaux puis on les échaude pour enlever le poil qui se trouve entre les piquants. La peau est ce qu'il y a de plus délicat : c'est comme de la peau de dindon gras et la viande fraîche a aussi beaucoup de rapport avec celle de cet oiseau.
Dmel-Bès-Bès, 15 février 1857
Depuis près de huit jours, nous avons un temps magnifique, aussi Riekhan et moi nous travaillons comme des nègres à fin de défoncer la partie du jardin qui ne l'était pas. Nous avons extrait de grandes masses de pierres et une quantité prodigieuse d'asphodèles, de chiendent, de carottes sauvages, toute une flore de mauvaises herbes. Le jardin sera plus que double ; si nous continuons ainsi pendant quelques années, il deviendra bien beau. Nous avons en ce moment des pois en fleurs ; nous avons mangé des radis, des carottes fraîches, de la salade et des épinards, les plants d'oignons seront bientôt à repiquer de même que les choux. La végétation ne cesse jamais ici, sauf en été quand on n'a pas d'eau ; or nous en avons au jardin.
Dmel-Bès-Bès, 5 mars 1857
La panthère nous donne depuis quelque temps de fréquents concerts. Il y a deux jours, Mr. Zill et moi nous descendions une pièce de terre pour mettre des pièges dans un ravin ; Mustapha me précédait armé de son fusil à deux coups chargé à neuf, moi je le suivais à quelques pas, portant un piège et une petite hache. Tout à coup, j'entendis à cent pas devant nous un aboiement rauque que je reconnus immédiatement pour celui d'une panthère. J'avertis Mr. Zill qui s'avança rapidement vers un gros chêne-liège, moi je me blottis derrière un buisson et nous attendîmes. La panthère était dans un épais fourré à 25 pas environ de l'arbre où était embusqué Mr. Zill, et nous nous attendions à tout moment à l'en voir sortir.
Comme cependant elle fut longue à se décider, nous montâmes tous deux sur le chêne ; du haut de notre château-fort, nous dominions tout l'espace entre l'arbre et le fourré, si elle sortait, elle était à nous !
Nous passâmes ainsi près de deux heures à l'affût, l'ennemi toujours rodant dans les broussailles et faisant parfois retentir sa voix formidable, tandis que nous causions à voix basse, riant de notre bonne fortune et de ce que diront les arabes. Nous n'éprouvions pas la moindre émotion, si ce n'est un désir ardent de voir sortir la bête et de la tuer ; nous avions tous les avantages sur l'ennemi, aussi ne jugea-t-il pas à propos de se montrer, mais s'éloigna peu à peu. Un vent glacial nous faisait grelotter et nous rentrâmes sans autre aventure.
Pendant que nous étions là à l'affût, trois arabes l'étaient en trois autres endroits et ne furent pas plus heureux que nous.
Dmel-Bès-Bès, 23 mars 1857
Comme nous attendons le commandant supérieur et le capitaine du bureau arabe[12], nous avons acheté du vin chez un marchand en gros ; il est mauvais mais toujours meilleur que celui de la cantine. Comme nous n'avions pas de robinet à notre petit tonnelet, nous y mîmes simplement un gros morceau de roseau que Riekhan bouchait avec le pouce quand la bouteille était pleine. On n'a que du mauvais vin à moins de payer trois, quatre ou six francs la bouteille d'une boisson qu'on vous vend pour du Bordeaux.
Une colonie, et je suppose l'Algérie spécialement, est un vaste gouffre où vont se jeter tous les rebuts, toutes les falsifications, un lieu de rendez-vous de tous les chenapans possibles. Cela va ainsi du plus petit au plus grand, des articles de première nécessité jusqu'aux articles du luxe le plus effréné. Il est heureux qu'à toute règle il y a des exceptions, que par suite on trouve de temps à autre une perle vraie parmi tout ce clinquant.
L'élève des abeilles se fait ici très-grossièrement, on a des espèces de tubes longs de un mètre et d'un diamètre de quinze à vingt centimètres, formés par deux lièges courbes attachés ensemble. C'est là-dedans que ces insectes travaillent et, lorsqu'on veut prendre le miel, on les enfume de tabac et on arrache les gâteaux. Si plus tard nous en avons, nous aurons un rucher un peu plus perfectionné.
En fait de fleurs, nous avons actuellement : des bruyères blanches, des crocus violets et blancs, quelques tulipes jaunes, des orchis diverses, entre autres des orchis araignées magnifiques, de petites liliacées violettes, des pâquerettes et, dans quelque temps, fleurira même le grand lys blanc qui, dans toute l'Algérie, ne se trouve qu'au Filfila à l'état sauvage. Il y a encore une foule de mauvaises herbes, de trèfles, de luzernes, qui ont toutes des fleurs plus ou moins jolies.
Dmel-Bès-Bès, 24 avril 1857
Mr. Zill devait dîner avec le commandant en ville, ensuite on devait chasser et puis déjeuner chez nous. Samedi dernier, il partit de bon matin et moi je travaillai avec Riekhan jusqu'au soir quand le capitaine du bureau arabe vint à passer et me dit que nous aurions ces messieurs à déjeuner lundi matin ; cette nouvelle ne m'arrangeait nullement : Mr. Zill en ville, rien de préparé, le nombre de convives inconnu – c'était peu rassurant – . Aussi, au lieu de profiter du dimanche pour me reposer, fallut-il arranger le gourbi ; laver la vaisselle et chercher du bois avec les bourricots. Le soir Mr Zill arriva, et apporta un gigot de mouton ; en route il avait commandé du beurre frais, du miel et des radis ; on envoya encore Riekhan chercher une table, des bancs, des serviettes, une nappe et des pommes de terre, qu'il apporta vers dix heures par un orage affreux.
Le lendemain, nous nous levâmes avant le jour pour préparer la table et les bancs dont il fallait scier et enfoncer en terre les pieds ; c'était près de la source, sous de beaux chênes-lièges. En même temps, nous faisions la cuisine, et il fallait tout porter, assiettes, verres, bouteilles etc. etc. du gourbi en bas ; le temps s'écoula avec une rapidité qui nous fit venir la sueur au front et j'étais à préparer des sandwichs de sanglier quand trois de ces messieurs arrivèrent déjà. Mon costume était des plus pittoresques mais des moins propres ; j'étais au désespoir tandis que Mustapha supporta la calamité avec son stoïcisme habituel.
Les sandwichs finis, j'allai faire ma toilette et tout le reste des convives arriva ; enfin on me présenta et puis on se mit à table.
Nos hôtes étaient : le colonel Lapasset[13], présidait ; à sa gauche était Mr. Lucie[14], grand concessionnaire de lièges[15], homme de soixante ans, très-aimable, très-gai, objet de l'attention de tout le monde. A droite du président se trouvait le cousin de Mr. Lucie, causant beaucoup et bien, puis le garde général de Jemmapes, un peu silencieux contrairement à son habitude ; un lieutenant du bureau arabe de Bône, très-spirituel, ayant toujours le mot pour rire ; Mr. Hintz, directeur de la carrière ; Mr. Abeille, gérant propriétaire de la carrière[16], jeune homme très-spirituel et de parfait bon ton ; votre digne fils[17] et un économe qui n'a pas pu me dire qui ou quoi il était, il voyage avec Mr. Lucie ; enfin le célèbre naturaliste[18], le capitaine du bureau arabe et le procureur impérial, un compatriote, petit homme aux favoris monstres.
Quant au menu, il était si compliqué que je ne me le rappelle plus bien et surtout pas comme les plats se suivaient : il y avait des sandwichs au sanglier et beurre frais arabe, quelques mauvais radis, des tranches d'un reste de saucisson, des anchois, des sardines, des pommes de terre frites, mauvaises, un pâté de foie gras de Bloch, un gigot de mouton, rôti à une broche de laurier sauce, deux poulets fabriqués avec deux coqs maigres, l'un sans tête, Biche l'ayant mangée, mais très-bons ; du fromage, des noix, des noisettes, des amandes, du miel, et un plat de cousscoussi délicieux ; du café servi dans de petites tasses arabes.
Lorsqu'on voulut changer d'assiettes, le commandant le fit à la manière des militaires en campagne, c. à d. en jetant par-dessus son épaule les os qui s'y trouvaient, et tout le monde suivit avec de grandes acclamations son exemple. On fut très-gai, causa et fuma pendant quelque temps, puis on se mit en route pour l'oued Saboun.
C'était une cavalcade magnifique, ces uniformes, ces différents chevaux, ces spahis à manteaux rouges défilant l'un derrière l'autre le long de ravins escarpés, le commandant en tête, coiffé d'un énorme chapeau kabyle.
Armée française. Spahis. Collection de Vinck. Un siècle d’histoire par l’estampe (1770-1870). Gallica
A l'oued Saboun, nous nous embarquâmes dans une petite barque conduite par deux rameurs à fin d'aller chasser les pigeons de roche qui nichent dans des grottes à l'ouest de la baie. La mer était assez agitée. Les grottes que nous visitâmes se trouvent percées dans des falaises très-escarpées, plus ou moins larges, se trouvant au fond de petites criques quelquefois très-étroites et bordées de rochers à pic où parfois un palmier nain ou une vigne sauvage se cramponnent aux fissures. Les murs de la première de ces grottes étaient tapissés d'un magnifique enduit de vert de gris. Nous nous approchions lentement et en silence, puis on sifflait, criait et ces messieurs lançaient des feux de file parmi les malheureux pigeons qui, effrayés par le bruit, cherchaient à se sauver.
On tua en tout six pigeons ; souvent il fallait envoyer l'un des bateliers sur les rochers abruptes et glissants pour les chercher ; d'autres fois, ils tombaient dans la mer.
Au sommet d'un rocher isolé, sortant comme une aiguille de la mer, était perché le nid d'un oiseau de proie qui couvait ses œufs. Mr. Lucie lui tira un coup de fusil, le manqua et la pauvre bête s'envola mais pour revenir immédiatement vers son nid ; il fut reçu par un feu roulant qui le fit tomber sur le bord d'une falaise. Le capitaine, qui grimpe comme un chat, gravit le rocher où il trouva trois œufs très-jolis, à fond blanc bigarrés de taches brunes ; nous tournâmes le rocher pour le prendre de l'autre côté. Là nous trouvâmes des pêcheurs maltais auxquels on acheta une langouste et des poissons aux couleurs les plus brillantes.
Ayant repris le capitaine, nous nous dirigeâmes vers la dernière grotte, la plus vaste et la plus belle. D'énormes stalactites forment une magnifique draperie comme des feuilles de bananier. Une partie ressemble à un de ces anges de la cathédrale de Strasbourg, seulement il n'a pas de tête, aussi a-t-on baptisé cette caverne la « grotte de la femme sans tête ». D'autres parties sont couvertes d'un enduit d'une couleur bronzée très-belle tandis que la draperie dont j'ai parlé plus haut est blanche.
Nous rentrâmes contents de notre expédition, mais contents aussi de mettre pied à terre ; moi parce que je grelottais de froid, les autres parce qu'ils commençaient à sentir quelques atteintes du mal de mer.
Nous dînâmes et passâmes la nuit à l'oued Saboun, où ces messieurs avaient fait préparer des lits.
Le lendemain, la matinée était belle, un peu fraîche, et la mer légèrement ondulée reflétait les rayons resplendissants du soleil levant. Après avoir pris le café, la cavalcade remonta aux carrières et nous allâmes au gourbi pour nous reposer un peu et arranger différentes choses.
Le soir on revint ici pour descendre dans la plaine ; on visita le gourbi qui, malheureusement, était encore un peu sens dessus dessous ; Mr. Lucie en fit le croquis puis ils partirent. Nous allâmes les rejoindre un peu plus tard, et les trouvâmes attablés près d'un bon dîner sous la tente. Après dîner, le commandant fit sa partie de whist[19] et ceux qui n'en étaient pas se chauffèrent autour d'un feu de bivouac monstre près duquel vinrent se grouper des arabes dans des poses plus ou moins pittoresques. Je couchai sous la tente, couvert d'un énorme tapis arabe que le capitaine Cousin[20] voulut bien me prêter ; le coussin était formé par deux sacoches en cuir, renfermant les paperasses de mon hôte ; je dormis assez bien malgré la dureté de mon lit.
Le lendemain vers six heures et demi, on se mit en route pour l'endroit où nous devions chasser ; nous traversâmes la plaine couverte d'asphodèles et entrecoupée de petits marais et de bois de lièges. Nous étions suivis de tout l'attirail des cavaliers, spahis arabes à cheval, à pied, une dizaine de sardes avec des chiens pour traquer le sanglier, c'était tout à fait imposant. Nous passions ainsi par un petit bois quand tout à coup arrivent au grand galop deux arabes ; ils mettent pied à terre, baisent la main du commandant et des capitaines, et puis se mettent en tête ; c'était le guide qui devait nous montrer la partie la plus propice à la chasse. Cette apparition soudaine, cette manière de saluer me frappa vivement ; c'était tellement local et étrange, même pour moi qui suis maintenant au fait des habitudes arabes.
Après avoir traversé un petit ruisseau, nous gravîmes une colline nue où nous trouvâmes rassemblés près de deux cents arabes et quelques autres messieurs qui étaient venus de Jemmapes pour se joindre à la chasse, entre autres le comte de Scheer, un allemand. On mit pied à terre et l'on monta lentement et en silence la montagne sur la crête de laquelle on nous échelonna. Quand tout le monde fut placé, on donna le signal de traquer ; alors s'élève au bas de la montagne un cri confus, des coups de pistolet furent tirés par les traqueurs au nombre de deux cents qui s'avançaient vers nous. Mais je ne vis point de bête, tout aussi peu que mon voisin de droite et de gauche ; d'autres virent un sanglier et un chacal, dirent même les avoir blessés, mais il n'y eut point de victime. Le comte transforma le chacal en lynx, donna même la longueur des pinceaux de ses oreilles et s'étonna que sa balle qui avait percé de part en part n'avait pas fait rester la bête sur le carré. Ce furent en général alors des récits comme quoi on avait vu, tiré et manqué ; comme quoi on aurait touché si certains si et mais ne s'étaient présentés.
Puis on descendit l'autre versant de la montagne où l'on prit cinq petits marcassins, dont trois restèrent en vie. Nous avions devant nous un grand marais entrecoupé de parties boisées ; il devait renfermer beaucoup de sangliers mais il fallait d'abord le traverser à fin d'avoir le vent à la figure, chose très-essentielle pour cette chasse.
Ce n'était pas bien facile, car il y avait beaucoup de vase ; cependant on essaya et des gens légers comme moi furent quitte de se mouiller un peu les pieds, d'autres plus gros, tels le comte, s'enfoncèrent et durent se faire retirer par des arabes. Abdallah, qui avait le colonel sur le dos, dut s'en débarrasser rapidement en le rejetant sur le bord, pour ne pas s'embourber complètement.
On parvint cependant, à force de choisir les bons endroits, à franchir le marais et l'on se posta de l'autre côté. Longtemps les traqueurs ne firent rien lever, à la fin cependant, des arabes ayant amené des chiens, ils firent lever un sanglier que j'entendis grogner et sauter à l'eau vis-à-vis de moi, derrière un rideau de broussailles ; j'espérais que la bête sortirait de mon côté, mais il n'en fut rien ; tout retomba dans le silence et on abandonna la chasse pour déjeuner. En attendant le repas qu'on avait fait chercher au camp, nous visitâmes la tente d'un nomade qui se trouvait là et l'une des femmes nous montra comment elles tissent leurs burnous. Elles font passer le fil de la trame avec la main au travers de la chaîne et puis le rapprochent, le serrent au moyen d'une espèce de peigne en fer.
Enfin le déjeuner arriva et en même temps un énorme sanglier, celui que j'avais entendu vis-à-vis de moi et qui avait traversé la ligne des traqueurs ; les arabes se trouvant de l'autre côté le poursuivirent à cheval et un cheikh l'abattit. C'était une belle bête armée d'énormes défenses.
Ayant bien déjeuné, on se remit en route pour une autre montagne ; on traversa une petite plaine où il y avait de très-belles orchidées, et on mit pied à terre près d'un charmant bosquet d'oliviers qui ombrageaient quelques tombes arabes. Les arabes aiment beaucoup enterrer leurs morts sous des oliviers et je trouve que cet arbre s'y prête bien mieux que les cyprès et les saules pleureurs.
Après avoir gravi une montagne couverte de broussailles épineuses et n'avoir pas tiré un seul coup de fusil, on regagna ses chevaux, plus ou moins désappointé.
Moi j'allai au camp avec le garde général et le capitaine Fin, les autres se dirigèrent vers Jemmapes, le capitaine voulut à toute force me retenir, mais le Dmel-Bès-Bès me saluait au loin et j'y rentrai assez tard.
Riekhan me fit du cousscoussi ainsi qu'à Abdallah qui m'avait accompagné et j'étais l'homme le plus heureux du monde quand je me trouvai couché dans mon lit.
Voilà mes exploits.
Depuis lors, je suis rentré dans la vie simple, ordinaire, tandis que Mr. Zill est encore par monts et par vaux ; demain il doit aller au lac Fetzara pour chasser avec Mr. Lucie, le colonel etc.
Vous voyez que je vois du monde de temps en temps, même du très-haut monde ; le comte allemand n'est pas comte mais c'est Maximilien de Wurtemberg[21], fils du célèbre naturaliste Paul, prince de Wurtemberg ; c'est un individu long de six pieds sept pouces ; il habite Jemmapes et paraît avoir passablement de connaissances en histoire naturelle.
Dmel-Bès-Bès, 10 mai 1857
Mardi soir, MM. Decker et Engelbach arrivèrent ici sans Mr. Fries qui avait craint la fatigue et Mr. Bögner qui préférait passer quelques jours à Bône. Nous n'attendions pas ces messieurs ce jour-là ; aussi avions-nous, le matin, réparé des trous qui se trouvaient dans le plancher, de sorte que le gourbi était tant soit peu sale. Pour comble de malheurs, Mr. Zill n'y était pas et le repas que je pus réunir suffit tout juste pour nous rassasier.
Le lendemain, nous visitâmes les carrières du Filfila, et en revenant nous trouvâmes Mr. Zill. Jeudi, nous fîmes une promenade dans la concession et, vers deux heures, nous nous mîmes en route pour Philippeville avec deux chevaux et un mulet. Nous arrivâmes assez tard mais sans encombre et, le lendemain matin, ces messieurs prirent la route de Constantine avec MM. Bögner et Fries et la tante de Mr. Bögner, arrivés la nuit.
Moi, j'allais voir les Liebich et y passai la nuit.
Dmel-Bès-Bès, 30 mai 1857
Tandis que vous respirez avec délices le parfum des fleurs printanières, nous avons depuis avant-hier un véritable temps d'hiver, de pluie battante, d'ouragan violent et de froid très-désagréable.
Notre vieux globe est, je crois, en train de se mettre sens dessus dessous par suite (d'après une nouvelle théorie sur les catastrophes géologiques) de l'accumulation toujours croissante de glaces au pôle sud qui se trouve, par cette raison, mis hors d'équilibre. Peut-être aussi ne sont-ce que les avants coureurs de la terrible comète qui se font sentir. Quoiqu'il en soit des causes, l'effet est là et fait pleurer tout le monde, car les uns ont comme moi du foin par terre, d'autres ont même déjà commencé la moisson de l'orge. Cependant nos oignons et autres produits du jardin se trouvent à merveille de la pluie, que je crois même que nos blés, peu avancés, n'en souffriront pas.
Dmel-Bès-Bès, 15 août 1857
Nous faisons toutes sortes de provisions pour l'hiver ; nous faisons confire des épis de maïs dans du vinaigre, nous salons et séchons des pommes d'amour et nous préparons de la viande de sanglier de la manière suivante : on la désosse, on la coupe en lanières aussi minces que l'on peut, on sépare les côtes l'une de l'autre sans les désosser, puis on sale légèrement avec du sel fin et on ajoute de la coriandre et du poivre rouge moulu ; on met dans un baril et on l'y laisse pendant vingt quatre heures, puis on la suspend au soleil et, s'il fait bien chaud et un peu de vent, elle est parfaitement sèche dans deux ou trois jours. Il fait trop chaud pour saler comme à l'ordinaire sans sécher.
On a résolu ici un problème philologique que toutes les académies du monde n'ont pu trouver : on a la langue universelle qu'on appelle le sabir. Par exemple, le mot andar prononcé par un français, un espagnol ou un arabe quelconque signifie tous les modes, tous les temps, toutes les personnes de aller, venir, partir, s'approcher et leurs dérivés ou synonymes. L'arabe comprend cela parfaitement. La femme d'un de nos ouvriers qui s'est établie ici avec son mari, s'entretient pendant des journées entières avec la femme de Riekhan, et elle ne sait pas d'arabe, la négresse pas de français, le sabir fait tous les frais.
J'ai des projets linguistiques, tant arabes que nègres pour l'hiver ; cependant, je ne sais pas si j'y parviendrai car ce sera moi qui labourerai.
Quand donc arrivera l'époque où je n'aurai pas plus à faire que je ne puis exécuter en son temps ; je crois que c'est toujours le cas une fois qu'on est entré dans la vie active.
Enfin je travaille et je travaillerai tous les jours, si cela ne réussit pas, j'aurai toujours de quoi me nourrir et s'il est dit que je doive devenir vieux garçon je le deviendrai, mais j'espère toujours que le gros lot me viendra avant que j'en sois là.
Dmel-Bès-Bès, 13 déc. 1857
Nous couchons depuis mercredi dans notre nouvelle maison dont les murs sont en torchis, ceux de cheminées en pierre, le toit couvert en diss[22] jusqu'au printemps prochain. Dans la cuisine, il y a un âtre avec quatre réchauds et, à droite, une place pour deux marmites ; il y a un chapeau sur l'âtre.
Moi, j'ai dans ma chambre : mon lit, deux chaises et une table avec un petit rayon.
Dans la chambre d'habitation, il y a un canapé, deux tables, quelques chaises et surtout une excellente cheminée devant laquelle nous nous chauffons parfaitement.
Dans le cabinet de Mr. Zill, il se trouve une table, un fauteuil, un canapé recouvert d'une peau de panthère et un rayon pour les livres.
En somme, nous sommes bien mieux ici que dans le gourbi, quoique la maison ne soit pas encore crépie et qu'il n'y ait de plafond que dans la chambre d'habitation.
Nous avons aussi un cuisinier qui fait assez bien sa besogne, mais qui est d'une paresse et d'une stupidité remarquables. Il s'appelle Mohamed ; c'est un pauvre diable qui travaillait à Jemmapes où les fièvres le rongeaient et qui a demandé à venir chez Riekhan.
Nous avons semé cet été un peu de sorgho à sucre ; il est devenu assez beau et j'essayerai d'en faire du vin et du sucre ou au moins du sirop. La moelle de ce sorgho a un goût parfaitement identique au sucre sans le moindre arrière-goût, et un morceau qui avait commencé à fermenter a donné un jus semblable au vin doux nouveau.
Dmel-Bès-Bès, 26 janvier 1858
Hier il y a huit jours, Riekhan nous a quittés de même que le cuisinier ; il est allé à Jemmapes où il compte travailler pour un arabe qui a des jardins et des terres. Je souhaite qu'il y trouve son compte car c'est un bon travailleur et son départ m'a bien peiné. C'est principalement à cause de sa femme qu'il s'en est allé ; elle trouvait que manger du couscous tous les jours et tous les jours (sic) était ennuyeux, elle voulait de temps à autre des macaronis et de la viande. Du reste, je comprends qu'ils n'aient pas voulu rester et je ne leur en veux nullement ; seulement ma dose de travail s'est considérablement accrue car nous voilà de nouveau seuls avec un gamin. Il faut faire le café le matin, traire les chèvres, donner à manger aux poussins (nous en avons quatre), lâcher les chevaux, les bœufs, donner à manger aux porcs et garder les chèvres.
J'ai même moulu du blé pour faire du couscous, du maïs pour faire du pain arabe et des fèves pour de la purée. C'est un travail qui ne me va que tout juste : on est assis par terre, les jambes croisées et puis on fait tourner la meule avec un bâton qui y est attaché d'un côté et, de temps en temps, on jette par le haut une poignée de blé. Le gamin blute[23] alors la farine pour séparer le gruau et le son, et fabrique le couscous ; il m'a fallu moudre pendant une demi-journée et le gamin a travaillé pendant une autre demi-journée au couscous, mais aussi est-il devenu exquis.
Missaoud est en ce moment occupé à faire de la rouina[24] en l'honneur des semailles de blé terminées hier ; sur un plat en terre arabe appelé farra, on fait griller du blé jusqu'à ce qu'il soit bien croquant. Puis on le moud au moulin, on sépare les sons, et avec la farine qui reste et du beurre ou du beurre fondu ou encore de l'huile ou simplement de l'eau, on fait une pâte que l'on mange chaude.
Je crois que cette farine, cuite au lait, donnerait un assez bon chocolat indigène.
Missaoud fait d'assez jolis progrès en écriture ; quand j'irai à Philippeville ou à Bône, je tâcherai de trouver un A B C pour lui apprendre à lire ; qui aurait dit que je ferais jamais le maître d'école ?
Mr. Zill est en ce moment occupé à rafistoler pour Missaoud un de mes vieux pantalons qu'il a coupé aux genoux, tant pour avoir des pièces que parce que les Moslemin ne portent pas de pantalons longs. Ce n'est pas dans leur religion comme ils disent. Leur religion se réduit du reste à quelques pratiques extérieures et à confesser Mohamed ; cette confession de foi est leur moyen infaillible d'aller au paradis. Ils s'en seraient mille fois servis pour faire de faux serments, si au moment de leur mort eux-mêmes ou ceux qui sont présents la récitent, ils s'en vont droit au ciel, manger du couscous avec de la viande et du beurre en grande quantité.
Dmel-Bès-Bès, 11 mars 1858
Figurez-vous que Missaoud a trouvé à propos de se sauver tout bonnement sans prévenir personne.
Je l'envoyai samedi soir au Menèjer pour aller chercher un de nos bourricots qui était allé y faire une promenade ; le soleil se coucha, de gros nuages s’amoncelèrent – point de Missaoud ni de bourricot ; la pluie commença à tomber, la nuit survint – pas plus de gamin qu'auparavant. Enfin Mr. Zill se décida à aller voir ce qu'il en était ; on lui dit que le gamin n'était pas venu, et nous eûmes la certitude que Monsieur Missaoud ben Rebekh avait eu l'idée subite d'aller coucher chez lui. Le lendemain son oncle le ramena et nous dit qu'il ne voulait plus rester chez nous ; pendant qu'il nous parlait, le gamin qui était resté devant la porte se resauva.
Cela nous fit beaucoup de peine car nous l'aimions bien et je croyais qu'il m'aimait aussi, mais on est trompé lorsqu'on croit trouver de l'amour ou de l'attachement chez cette race. C'est surtout cette fausseté, ce grand pouvoir de dissimulation qui me peine ; toute la journée le gamin était gai comme un pinson, nous comptions en français tout en labourant ; il riait, causait et faisait de l'esprit tout en couvant l'idée de nous planter là.
Cela me fait encore un surcroît de travail car j'ai à soigner les deux porcs, deux bœufs, deux chevaux, dont un à un arabe, deux bourricots, une demi-douzaine de chèvres et autant de chevreaux qu'il faut séparer de leur mère, garder, et remettre auprès d'elles etc. etc. Quand ici je chasse les chèvres qui vont dévorer le blé, les chevaux entrent dans les fèves un kilomètre plus loin et en attendant les bœufs sont devant la charrue à réfléchir sur les misères de la vie d'ici-bas. Nous avons à présent, pour travailler le jardin, un ex-ouvrier de la carrière, un espagnol, jardinier consommé, travailleur infatigable ; il vient à la journée, travaille plus et est plus entendu que Riekhan.
Dmel-Bès-Bès, 9 mai 1858
Il y a quelque temps nous avions grand gala. Le colonel, un commandant, trois lieutenants et un ingénieur des mines ont passé toute la journée ici. J'ai conduit les quatre derniers à la carrière, où l'ingénieur, un homme extrêmement aimable, m'a donné des explications très-intéressantes sur la formation des marbres etc. Nous passâmes une soirée très-agréable en causant et en fumant ; les frais du déjeuner et du dîner furent en grande partie faits par les arabes qui apportèrent des poules, des œufs, du beurre en quantité, et par le colonel qui avait apporté du vin ; son garçon faisait la cuisine de sorte que nous eûmes tous les agréments et pas d'inconvénients de cette visite.
J'eus aussi, il y a un mois à peu près, la visite de deux anglais ; ils étaient venus pour acheter des peaux d'animaux et des choses rares à Mr. Zill qui, par hasard, n'y était pas. Je les fis coucher ici et nous passâmes une soirée fort agréable, moi en massacrant de l'anglais que j'entrelardais fort d'arabe, et eux parlant français tant bien que mal. C'était le major Feildan avec son empailleur ; le major a un beau musée qu'il voulait compléter ici. L'empailleur nous chanta un highland-song, fort joli, mais auquel je ne compris pas un mot. Ils furent très-contents de trouver quelqu'un qui parlait un peu d'anglais et, en quittant, ils me serrèrent la main en disant : nous penserons à vous en Angleterre. Je leur répondis que moi, de mon côté, je ne les oublierais pas non plus, et en effet leur court séjour m'a laissé un souvenir fort agréable ; c'étaient des gens vraiment gemütlich[25].
Dmel-Bès-Bès, 8 juin 1858
Je reviens d'une tournée à Bône dont je vais vous donner quelques détails. Je m'étais proposé de partir de grand matin à fin de voyager par la fraîcheur, mais n'ayant pas dormi presque toute la nuit, le sommeil ne vint que le matin et je me levai un peu tard. Je partis cependant peu après le lever du soleil ; il faisait bon, la nature était belle mais j'y faisais peu attention car j'avais trop à penser et j'avais le cœur gros ; il me semblait que déjà je quittais le Dmel-Bès-Bès pour m'établir ailleurs.
J'avais le cheval d'un arabe que nous avions eu tout l'hiver chez nous ; je croyais qu'il irait mieux que notre bon Mourzouk, mais je fus bientôt désenchanté. Arrivé dans la plaine, je rencontrai la femme d'Abdallah qui s'en revenait de chez son frère ; elle était à cheval et voilà mon Bucéphale qui veut à toute force faire volte-face et suivre Madame Abdallah. Je lui donnai l'éperon, alors il se cabra et ce ne fut qu'avec la plus grande peine que je parvins à le faire avancer. Un peu plus tard, il me joua le même tour au beau milieu d'un douar et au grand amusement des femmes et des moutards.
Il faisait une chaleur horrible et en passant près d'une tente, je regardai d'un œil envieux les femmes qui trayaient les vaches. Elles s'en aperçurent sans doute et les petites filles me demandèrent si je voulais acheter du lait. Je me dis : voyons voir s'ils sont de bons Moslems ou non et je leur répondis : je ne veux pas acheter du lait mais donnez-m'en pour l'amour de Dieu. Les femmes répétèrent mes paroles toutes étonnées et une vieille grand'mère dit : il connaît Dieu, il faut lui donner du lait, et on m'en apporta trois gamelles pleines. Je bus à satiété, distribuai un morceau de chocolat parmi les nombreux enfants et promis d'apporter à la grand'mère de la médecine pour guérir les maux d'yeux dont elle souffre.
La chaleur devenait de plus en plus intense et mon cheval ne voulait plus marcher ; en passant près d'un douar, un jeune homme quitta sa tente pour me regarder de plus près – ils sont si curieux ces arabes. Je lui souhaitai le bonjour et le priai de me laisser prendre un peu de repos à l'ombre de sa tente. Immédiatement il m'y conduisit, donna de l'orge à mon cheval et me fit faire du rfiss par sa mère.
Sa femme qui faisait du beurre dans une peau de bouc était fort jolie ; elle avait un beau nez aquilin, des yeux bleus mélancoliques et des cheveux noirs. Avant le rfiss, on me fit manger des œufs durs. Un des nombreux curieux demanda à mon hôte pourquoi ils avaient fait ces œufs ; il répondit qu'il n'en savait rien, qu'ils étaient écrits pour moi, c. à d. que Dieu avait écrit dans le grand livre où tout est écrit que ce jour ils feraient des œufs durs qui seraient mangés par un roumi[26].
Il y avait là entre autres enfants deux charmantes petites filles de cinq à six ans, l'une blonde aux yeux clairs, à la peau blanche et transparente comme du marbre, l'autre noire aux yeux brillants ; elles formaient un contraste frappant, mais elles étaient à croquer toutes les deux. Le maître de maison dit à la blonde : viens saluer ce monsieur ; elle s'approcha et me tendit la joue, je l'embrassai et puis je pris sa main que j'embrassai aussi, lui tendant la mienne pour qu'elle en fasse autant, nous répétâmes ce manège à plusieurs reprises et à chaque baiser je disais comment cela va-t-il, comment te portes-tu, tu n'es pas malade et d'autres balivernes de ce genre, au grand plaisir de toute la société qui était fort étonnée de me voir si bien au fait de toutes les cérémonies de salutations arabes.
Je quittai ces braves gens en les remerciant et en leur souhaitant toutes sortes de prospérités et j'arrivai d'assez bonne heure à Aïn-Mokra, le caravansérail du lac. Je trouvai là un géomètre qui me dit que, à quelques kilomètres du lac, en montant vers l'Edough, il y avait une charmante et fertile vallée appelée l'Oued-El-Aneb (la rivière aux vignes), que dans cette vallée il y aurait sans doute moyen d'obtenir une concession. Le lendemain, je me levai de bonne heure et partis cependant tard parce que le maître de la maison ne se dépêcha pas de se lever.
J'allai voir l'Oued-El-Aneb. En quittant le lac, on monte par une vallée d’assez triste apparence ; après un bon quart d'heure, on arrive sur un plateau, puis le chemin passe par des broussailles et, tout à coup, on se trouve sur les bords d'une charmante vallée par laquelle serpente une rivière bordée d'énormes frênes et de figueraies parfaitement venues ; c'est charmant, on ne peut plus pittoresque, très-fertile sans doute, mais c'est isolé, à six lieues de Bône, pas de chemin et pas même d'espoir de chemin ; c'est plus solitaire que le Dmel-Bès-Bès et doit être un peu fiévreux.
J'arrivai vers midi à Bône, je mis le cheval à l'écurie, pris du café et allai ensuite à la recherche de Mr. Bögner que je rencontrai en chemin ; nous rentrâmes chez lui et allâmes plus tard chez Mr. Gerst qui me parla de diverses propriétés qui sont à louer ou acheter. Je visitai le jardin de Mr. Gerst ainsi qu'une autre propriété, presque aux portes de la ville.
Sur ces entrefaites, MM. Bögner et Garnier, le maître d'école, allèrent à Guelma ; Mr. de Luzow, qui en revenait, m'invita à aller le voir et me montra la ferme in s/u (car ce n'en est pas encore) de Mr. Cecard qui me conviendrait mieux.
Le dimanche de Pentecôte, j'entendis un sermon de Mr. Bögner ; le lundi, je tentai une ascension à l'Edough d'où je revins enrhumé, puis je m'en retournai au Dmel-Bès-Bès sans qu'il arrivât rien de particulier. J'apportai de la poudre à mon hôte arabe, et de la pierre divine à la grand'mère et revins m'enterrer ici.
Dmel-Bès-Bès, 3 juillet 1858
Lundi il y a huit jours, j'allai prendre Mr. Bögner qui était venu faire un service allemand à Philippeville. En rentrant, nous trouvâmes Mr. Appel[27], le pasteur de Guelma, avec qui Mr. Bögner repartit le lendemain.
Dmel-Bès-Bès, 15 août 1858
Dans la nuit de mercredi – il était dix heures et j'allai m'endormir – j'entendis tout à coup ouô, ouô, ouô, o, o, o ; c'était un lion qui se trouvait dans les figuiers au-dessous de la maison. Je me levai pour écouter quand Mr. Zill tira par la fenêtre à quoi le lion répondit à côté de la maison par des ouô, ouô répétés et furieux. Nous tirâmes alors à l'aventure pour l'effrayer car l'écurie du cheval, provisoire comme tout au Dmel-Bès-Bès, avait de grands jours partout.
Effrayé sans doute par notre fusillade, le roi des animaux jugea à propos de déguerpir d'une manière aussi silencieuse qu'il était venu bruyamment. Nous avions de plus allumé un grand feu devant la maison et fîmes garde jusque vers une heure ; puis je préparai un bon thé que nous gâtâmes avec du mauvais esprit d'asphodèles en guise de rhum et l'on se coucha. Le lendemain, je me levai de bonne heure pour voir les traces du lion, elles avaient la grandeur de ma main étendue. S'il avait fait clair de lune on aurait pu le tuer ; Mr. Zill m'avait fait rire en moi-même car, après chaque coup de feu, il refermait la fenêtre comme si elle eût offert beaucoup de résistance si la bête avait voulu entrer.
Dmel-Bès-Bès, 29 août 1858
A présent mon sort est décidé : nous avons été hier chez le greffier du juge de paix pour faire ma demande pour une concession de 49 ha 79 ca près d'El-Kantour à l'endroit appelé M'Chaïda.
Je voulais aller visiter la propriété mais le colonel me dit que je ne la trouverais pas vu qu'il n'y a rien de marqué sur le terrain. J'ai du reste vu le plan ; les terres étaient cultivées par des arabes, elles sont très-bonnes ainsi que la source mais il n'y a pas de bois, ce qui est un inconvénient. Le pays est sain et on trouve facilement des pierres à bâtir. L'altitude est assez grande, on souffre donc moins de la chaleur. Je serai un peu plus éloigné de Philippeville que de Constantine.
Dmel-Bès-Bès, 28 nov. 1858
J'attendais de courrier en courrier pour vous écrire, pensant que je pourrais vous donner de bonnes nouvelles par rapport à ma mise en possession, mais malheureusement elle se fait toujours attendre. Ces jours, nous avons encore eu une alerte de panthère, elle vint tout près de la maison pendant la nuit mais il ne faisait pas assez clair pour la tuer. Ces bêtes deviennent de jour en jour plus effrontées ; dernièrement, Mr. Zill a manqué être mangé par l'une d'elles. Il était allé à la chasse aux bécasses et en avait fait lever deux mais sans pouvoir les tirer ; il s'avança vers leur remise quand il entendit à vingt pas devant lui, dans les hautes bruyères, une bête qui claquait des dents ; il s'arrêta, mit des cartouches à balle dans son fusil et attendit. La bête s'avança toujours, puis s'arrêta et s'en alla lentement. Mr. Zill n'avait pas pu la voir à cause des bruyères, mais les vieux arabes dirent que c'était sans doute un lion. Il y a quelque temps aussi, une vache d'Abdallah fut mangée par une panthère, mais le cheikh ne la revit plus, ni même un chacal ou une hyène.
Dmel-Bès-Bès, 19 mars 1859
J'ai passé par bien des écoles au Dmel-Bès-Bès ; mais il en manquait une, celle de l'infirmier ; à fin que mon éducation soit complète, je viens de soigner pendant huit jours deux malades. Voici comment cela arriva.
Jeudi il y a huit jours, un arabe des Guertis vint prévenir Mr. Zill que la panthère avait tué une de ses génisses dans un fourré du Kebirka et l'engagea à aller avec Abdallah s'y mettre à l'affût. Ils se mirent immédiatement en route et, arrivés à l'endroit désigné, construisirent à la hâte une espèce de nid sur un chêne d'où ils pouvaient facilement voir la panthère si elle s'approchait de la bête morte. Comme la nuit était près de tomber, ils se dépêchèrent et ne firent pas assez attention à la faiblesse des branches sur lesquelles le nid fut établi. Aussi, quand la nuit fut complètement venue et qu'un vent extrêmement violent s'éleva, l'une des branches se brisa et ils tombèrent tous les deux sur les rochers qui se trouvaient au-dessous du chêne ; Abdallah, tombé le premier, se trouvait debout sur la tête quand Mr. Zill suivit et le renversa complètement.
Ils restèrent quelque temps sans connaissance ; enfin Mr. Zill se ranima peu à peu, et quand il eut à peu près repris ses sens, il tâta Abdallah qui ne donnait plus signe de vie : il avait les mains et les pieds froids et ne respirait pas. Après un laps de temps qui parut une éternité à Mr. Zill, il se ranima enfin et répondit faiblement à Mr. Zill. Celui-ci eut alors assez de force pour retirer une demi-douzaine de pierres qui servaient de couchette à Abdallah, et pour prendre son fusil dans le cas où la panthère viendrait les attaquer. Figurez-vous leur position, et la nuit qu'ils durent passer. Le cheikh aux trois quarts mort, récitant sa confession de foi et poussant des cris atroces arrachés par la douleur, Mr. Zill en faisant autant ; avec cela, un vent glacial violent, une nuit noire et la panthère rodant autour d'eux et s'attaquant même à la vache qui n'était séparée d'eux que par un buisson. Une fois, elle était si près qu'ils entendirent son souffle, aussi Abdallah dit : tire donc, elle va nous manger. Mais Mr. Zill préféra garder son coup pour le cas où il ne pourrait pas bouger le matin et où il ne lui resterait que ce moyen pour se faire entendre, car cet endroit est inhabité à une demi-lieue à la ronde et mal famé.
Nous ne savions naturellement rien de tout cela, et vendredi matin j'étais à sarcler des oignons quand Renaud, notre domestique, accourut tout effaré pour me dire de rentrer. Je trouvai Mr. Zill qui pouvait à peine se tenir debout ; il avait l'œil gauche poché et parlait avec difficulté. Il me dit d'aller immédiatement chercher du monde pour porter secours au cheikh. Je ne comprends pas comment il avait eu la force et le courage de se traîner jusque chez nous.
Je pris immédiatement quelques hommes avec moi et nous partîmes, laissant Mr. Zill aux soins de Renaud qui lui fit son lit dans la grande chambre. Après avoir grimpé sur des montagnes, descendu des ravins, traversé des fourrés, passé sur d'affreuses rocailles nous arrivâmes enfin à l'endroit fatal. Alors chacun proposa un moyen différent pour transporter le malheureux cheikh ; les uns voulaient le faire monter à cheval, d'autres le porter sur le dos ; je coupai court à tout cela en disant à Ali : coupe ce chêne, moi j'en couperai un autre, et nous en fîmes une espèce de civière sur laquelle on mit un peu de diss et un tellis[28] et on y attacha Abdallah avec une corde de poil de chameau qui sert ordinairement à retenir le haïk[29] sur la tête.
Mais alors, comment sortir de là ? Qui portera et qui ne portera pas ? Brahim, un grand et gros individu dit : moi je ne puis pas porter, je viens de me trouver mal ; je lui répondis : tu porteras et inchallah tu guériras quand nous serons à la maison.
Ali et moi nous prîmes de petites haches et nous coupâmes un chemin dans les broussailles tandis que les autres portaient le cheikh. Quand les uns étaient fatigués, les autres les relevaient et ainsi nous arrivâmes sans encombre à la maison.
Je fis mettre aussi mon lit dans la grande chambre et on y coucha le cheikh qui ne pouvait pas se remuer ; lorsqu'il était fatigué d'être couché d'un côté, il fallait le retourner à deux, aussi passai-je quatre à cinq nuits blanches. Il y avait bien un arabe ici mais il fallait toujours le réveiller lorsqu'on avait besoin de lui. Les deux patients vont mieux.
Je disais plus haut que l'endroit où ils étaient tombés est mal famé ; ce n'est pas précisément le mot. Le Kebirka est une haute montagne à l'est du Filfila et il s'y trouve une quantité de tombeaux de salhïn, c. à d. de bienheureux, de saints. Or ces saints paraissent être très-malheureux car au lieu d'être en paradis ils habitent le Kebirka, et comme les nuits sont longues et noires ils sont forcés de faire de la lumière pour voir clair. Pour cela, il leur faut de l'huile qui ne se trouve pas au Kebirka mais qu'ils vont chercher fy'l Rarb c. à d. à l'ouest ; comme bêtes de somme, ils emploient des panthères, des lions, etc.
En voici la preuve : d'abord on voit souvent de la lumière près des tombeaux des saints ; puis, il y a quelques années un homme trouva, en chassant, un lion extrêmement maigre et ayant la place d'un bât parfaitement marquée sur le dos. L'homme le tua et dans la nuit un saint lui apparut en songe et lui demanda pourquoi il lui avait tué son cheval. Une fois, Abdallah était à l'affût au Kebirka, près d'un sanglier qu'il avait tué ; il s'endormit et voilà qu'un homme vient, le pousse avec un fusil et dit : - Yah Abdallah que fais-tu là ? - Je suis à l'affût ; l'étranger répéta la même question et disparut plein de courroux.
Dmel-Bès-Bès, 3 avril 1859
Je viens de recevoir la lettre suivante :
Monsieur, j'ai l'honneur de vous informer que Mr. le Général de Division vous a délivré un titre de concession, portant sur l'Azel M'Chaïda et comprenant le lot n° 4 d'une contenance de 49 H. 79 a 10 ca.
Comme les terrains sont loués, l'entrée en jouissance ne commencera qu'après l'enlèvement des récoltes, au mois d'octobre prochain.
Je vous invite à vous présenter au bureau du receveur des Domaines à Philippeville pour y retirer l'expédition qui vous est destinée, contre acquittement des droits de transcription. Veuillez vous adresser, pour votre mise en possession régulière, à Mr. le géomètre Rigard-Casset qui a reçu des instructions à ce sujet.
Signé / Lapasset[30]
Dmel-Bès-Bès, 10 avril 1859
Ma dernière lettre vous a appris qu'enfin j'ai obtenu ma concession ; par celle-ci, vous aurez une nouvelle intéressante aussi, mais cependant moins importante. Mr. Zill va faire un voyage par l'Égypte, l'Arabie, la nouvelle Hollande[31], la Chine et l'Inde avec le fils[32] de Mr. Lucy. Il doit partir pour Marseille dans une huitaine de sorte qu'il quittera peut-être le Dmel-Bès-Bès plus tôt que moi.
Dmel-Bès-Bès, 18 avril 1859
Mr. Zill est à Philippeville où je le rejoindrai demain, pour assister à son embarquement et voir ce qu'il en est de mon plan ; j'espère que bientôt je pourrai prendre possession car je m'ennuierais beaucoup tout seul ici.
Nous avons fait mercredi dernier une fête monstre à nos arabes ; moi j'ai donné la moitié de mon plus gros bœuf et Mr. Zill du couscoussi de deux doubles de blé. Ce bœuf a pesé 92 kg de viande ; j'ai fait sécher au soleil l'autre moitié et les os servirent avec une bonne portion de viande à faire le bouillon du couscoussi qui fut de qualité supérieure.
Nous avions fait venir Riekhan qui s'est bien régalé et a emporté tout un mouchoir plein de viande cuite, plus un morceau de viande crue que je lui donnai. Mr. Zill lui fit cadeau d'une chèvre avec deux petits.
Dmel-Bès-Bès, 15 mai 1859
Abdallah, qui a été nommé cheikh des Beni Mehemme de la plaine entre Filfila et Jemmapes, est chargé du Dmel-Bès-Bès ; il le cultivera à son bénéfice et demeure dans la grande chambre. Il a laissé son bétail à son ancienne maison et ne l'amènera ici que quand les récoltes seront enlevées ; le taleb[33] viendra alors également demeurer ici, car jusqu'à présent ce sont ses femmes qui traient les vaches et soignent les veaux du cheikh.
Je vous ai écrit que nous avons tué l'un de mes bœufs pour la girta ; j'ai revendu l'autre parce que cela m'aurait donné trop d'embarras de l'emmener. Il me reste donc le cheval, la chèvre avec ses deux fils, deux chiens, deux chats, un coq et deux poules.
Toutes mes affaires seront transportées d'ici à l'oued Saboun, de là par mer à Philippeville d'où je les ferai conduire à El-Kantour par une charrette et de là à dos de mulet chez moi.
Nous avons été à M'Chaïda pour nous faire délimiter ; Mr. Durand, mon voisin futur, m'avait donné rendez-vous à El-Kantour, et je partis de Philippeville de bon matin. Je déjeunai à El-Arrouch où MM. Durand (et sa dame), Reiner, le géomètre et M. Étienne me rejoignirent, les premiers en voiture, le dernier à cheval comme moi.
Le lendemain, nous fûmes rejoints à El-Kantour où nous avions passé la nuit, par MM. Bouzeran et Garrigues ; il ne manqua qu'un lieutenant de vaisseau[34] et sa sœur. D'El-Kantour, on prend un chemin qui se dirige vers l'est vers Founriet pendant 2 h. ½ environ, puis on prend à droite et après avoir fait encore un kilomètre, on est à M'Chaïda.
Mon lot est un des moins bons quant à la fertilité ; au nord, dans la partie la plus élevée, il y a 15 ha de diss, le terrain y est très-rocailleux et a une très-forte pente. Immédiatement au-dessous, à partir de l'Aïn-Smara (Smar veut dire joncs), il y a une partie de 50 à 75 mètres de long où il pousse des joncs et où sont cachées une foule de sources. Au-dessous, il y a un plateau peu incliné où il y a de bonnes terres et qui s'étend jusqu'au chemin supérieur ; là, il forme une espèce de mamelon au milieu de la propriété, sur lequel je compte bâtir. Puis vient une forte dépression de terrain, puis encore un petit plateau ; vers la limite est, le terrain décline aussi et forme une petite vallée où pousse de l'herbe en abondance et de première qualité. Au-dessous de l'Aïn-Bougrioun, les terres sont très-bonnes ; il y en a peu de cultivées cette année-ci.
L'Aïn-Smara est très-jolie ; elle sort d'un rocher qui est tout garni de capillaire ; les pierres qui se trouvent là sont du grès, chez le commandant il y a du calcaire. La terre est généralement noire, argilo-calcaire, assez friable ; elle est infestée de grands chardons ; par ci par là, il y a quelques asphodèles mais il y a fort peu d'autres mauvaises herbes.
Le bois de chauffage est à une demi lieue à peu près, c'est du lentisque ; si on veut chauffer avec du laurier-rose, on en trouve dans tous les ravins un peu considérables. Il n'y a que le bois de construction qu'il faudra faire venir de Philippeville.
Voici maintenant comment je compte m'arranger : il y a près de l'Aïn-Smara deux anciens gourbis que je veux faire arranger par les arabes ; j'ai parlé à l'un des ongafs (adjoints du cheikh) pour cela et je ferai la chose par écrit devant le chef du bureau arabe civil à El-Arrouch. Sitôt les gourbis prêts, je monterai là-haut et me mettrai immédiatement à préparer un jardinet, puis je commencerai à ramasser des pierres pour mes bâtisses.
Dmel-Bès-Bès, 23 mai 1859
Avant-hier, j'ai fait la connaissance de Mr. de Candolle fils[35], de Genève, qui voyage pour son agrément et son instruction. C'est un charmant garçon, grand botaniste comme de juste, et qui veut se livrer à des études sur la formation du liège ; jusqu'à ce jour, la science n'a encore rien dit à ce sujet.
Dmel-Bès-Bès, 12 juin 1859
Enfin, je vais quitter et, à vrai dire, je n'en suis pas fâché ; seulement, je voudrais que Coll, un maçon qui doit venir auprès de moi avec sa femme, puisse m'accompagner tout de suite car c'est une misère d'être tout seul.
Lundi dernier, j'ai acheté du bétail parce qu'il est bon marché en ce moment : quatre bœufs et huit vaches et génisses. Après-demain, je pense descendre mes affaires à l'oued Saboun, où je les embarquerai sur une des barques qui viennent prendre du marbre.
[1] Prénom donné comme « surnom » à Charles Zill.
[2] Expression que l’on peut traduire par « dans notre bulle ».
[3] Mante religieuse.
[4] Village situé à 10 km à l’ouest de Strasbourg.
[5] Maître Marteau.
[6] Il paraît vraisemblable ici que Théodore Fritz pouvait mettre plusieurs jours à rédiger ses lettres tout en ne changeant pas la date obligatoirement. Cette lettre est en effet datée du 15 août 1856 et évoque le tremblement de terre de Philippeville qui a eu lieu dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 août 1856, avec une forte secousse le soir à dix heures et demie, « quelques petites oscillations au cours de la nuit et une nouvelle commotion plus forte que celle de la veille à midi moins vingt minutes » . (voir article de L’Illustration. Journal universel daté du 6 septembre 1856). Cela nous donne ainsi une indication sur sa manière d’écrire.
[7] Frédéric Albert Constantin Weber (Wolfisheim, 1830-Paris, 1903); médecin militaire et botaniste. Fils d’un pasteur protestant, il est diplômé de la faculté de Strasbourg (1852). Médecin militaire en Algérie de 1856 à 1859. Voir Annexe II.
[8] Nous n’avons retrouvé aucune trace d’un lien de parenté entre Théodore Fritz et Charles Zill. Il est fort vraisemblable que cette expression définisse des liens affectifs proches, comme un oncle « de cœur ».
[9] Louis François Bella (1812-1882), fils du premier directeur de l’école de Grignon. Voir Annexe II.
[10] « Ce canon fait à l'extérieur comme les canons ordinaires, est taraudé en-dedans dans toute sa longueur de moulures longitudinales ou circulaires. L'on est obligé dans ces canons d'enfoncer la balle avec une baguette de fer, & de l'y forcer ; ces canons portent la balle plus loin & plus juste » (Diderot, encyclopédie).
[11] Massif littoral situé à l’ouest de Bône.
[12] Dès la conquête, les liaisons entre la nouvelle autorité française et les tribus algériennes est un enjeu majeur du maintien de l’ordre. En 1830, un Agha (officier de la cour du sultan ottoman) est chargé de cette tâche. En avril 1833 est créé le premier « Bureau arabe » à Alger dirigé par un officier des zouaves, le capitaine Lamoricière ; à la suite de cette création, des Bureaux arabes sont fondés empiriquement sur le territoire à mesure de l’avancée de la conquête militaire. L’arrêté du 1er février 1844 porte création d’une Direction des affaires arabes dans chaque division militaire de l’Algérie et un bureau par Subdivision. Chaque bureau se compose d’un officier supérieur, de 2 officiers-adjoints, d’un lieutenant de spahis, d’un médecin, d’un interprète, d’un secrétaire arabe, de deux commis-secrétaires français et d’un huissier-majordome (chaouch). En 1866, environ 200 officiers des Bureaux arabes sont répartis sur 50 bureaux (16 dans la province d’Alger, 15 dans celle d’Oran, 18 dans le Constantinois). Cette organisation est qualifiée de « machine militaire arabe » par ses officiers. (Vincent Monteil, « Les Bureaux arabes au Maghreb (1833-1961) », Esprit, novembre 1961, n° 300 (11) p. 575-606 ; Xavier Yacono, « Bureaux arabes », Encyclopédie Berbère, n° 11, 1992, p. 1657-1668).
[13] Ferdinand Auguste Lapasset (1817-1875). Voir Annexe II.
[14] Adrien Lucy (1837-1895), grand propriétaire de suberaies, de concessions dans les mines de fer et de marbre. Associé à Antoine Falcon pour l’exploitation des mines dans la société Lucy & Falcon. Voir Annexe II.
[15] L’Algérie, peu boisée au regard de sa superficie, était au XIXe siècle très propice à l’implantation de chênes-lièges qui occupaient environ le tiers de ses forêts. La production de la filière liège algérienne intègre un vaste marché du liège qui s’est mondialisé dès les années 1820. Au milieu du XIXe siècle, le territoire comprend 208 000 hectares de suberaies dont 190 000 pour la seule région de Constantine. De 1848 à 1862, des concessions octroyées contre une redevance versée à l’Etat, constituent le tiers de suberaies domaniales, tenues par des membres de la nouvelle bourgeoisie coloniale ou par des représentants de la haute société métropolitaine. Face aux difficultés d’exploitation, le lobby des concessionnaires obtenait en 1862 une révision du cahier des charges qui leur était extrêmement profitable (redevance allégée, jouissance doublée à 90 ans, etc.). ). La société Lucy & Falcon possède des suberaies. (Jean-Yves Puyo, « Grandeurs et vicissitudes de l’aménagement des suberaies algériennes durant la période coloniale (1830-1962) », Forêt méditerranéenne, t. XXXIV, n°2, juin 2013).
[16] On peut établir deux hypothèses sur ces carrières autour du mont Djebel Fil Fila située à 25 kilomètres environ de Philippeville. Le rapport de l’ingénieur ordinaire des mines du département de Constantine, du 11 octobre 1875 confirme la possession toujours active d’une concession de minerai de fer au nom de MM. Lucy et Falcon (Conseil général de Constantine, p. 241-252). Par ailleurs, la carrière de Filfila la plus célèbre est celle du marbre avec six gisements variés (Le Progrès de Mascara, 21 janvier 1899) peut être aussi celle de la concession de M. Abeille.
[17] Cette lettre est destinée à ses parents comme le précise cette phrase.
[18] Charles Zill.
[19] Jeu de cartes d’origine anglaise.
[20] Charles Cousin (1820-1889), fils du général et homme d’état français Charles Cousin de Montauban, entre les mains duquel Abd-el-Kader fit sa soumission le 21 décembre 1847. Voir Annexe II.
[21] Maximilien de Wurtemberg (1828-1888) : fils du duc Paul de Würtemberg (1797-1860) et de la princesse Sophie de Tour et Taxis (1800-1870). Voir Annexe II.
[22] Nom vernaculaire d'origine algérienne d'une plante de la famille des poacées (i.e. graminées) originaire du bassin méditerranéen, de nom scientifique Ampelodesmos mauritanicus.
[23] Blutage : action de passer au blutoir pour séparer la farine du son.
[24] Farine de blé dur.
[25] Charmants.
[26] Un « chrétien » et par extension un « européen ».
[27] Philippe Appel, pasteur luthérien originaire de Strasbourg. Voir Annexe II.
[28] Sorte de couverture.
[29] Vêtement féminin porté particulièrement à Alger.
[30] Voir Annexe II.
[31] Australie.
[32] Armand Lucy participe à la campagne de Chine, attaché en qualité d’interprète anglais de M. le Général de Montauban. Il a publié ses souvenirs de voyage dans Lettres intimes sur la campagne de Chine en 1860, Marseille, Imprimerie et Lithographie Jules Barile, 1861. Charles Zill se joint à la brigade topographique de l’expédition en qualité de naturaliste.
[33] Étudiant d’une école coranique.
[34] Vincent César Terrigi. Voir annexe II.
[35] Alphonse Pyrame de Candolle (1806-1893), botaniste franco-suisse. Voir Annexe II.